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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/842

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il était devenu évident que cette conciliation formait désormais le but à poursuivre. Quand le cabinet du 15 avril se retira, la question des chemins de fer n’était plus aussi lourde à porter qu’elle l’avait été durant les dernières années. S’il ne l’avait pas résolue, il avait du moins déblayé le terrain à ses propres risques. C’est à un ministre dont la modération et les lumières inspiraient une juste confiance, à M. Dufaure, qu’échut la mission de continuer l’œuvre commencée. Dans le fâcheux état de désarroi où le rejet des deux plans de 1837 et de 1838 avait mis le travail officiel, il fallait préparer de nouvelles propositions. Nous ne pouvions pas continuer à donner au monde le spectacle de nos stériles ardeurs. Dans l’impuissance de tracer les lignes d’un réseau, on avait d’ailleurs concédé à l’industrie quelques chemins de fer isolés. Regardées avec une sorte d’envie et trop étroitement constituées, les compagnies étaient en proie à une gêne des plus inquiétantes. Il était nécessaire de prendre quelque parti, soit pour venir à leur secours, soit pour liquider leur ruine. M. Dufaure, imitant en cela M. Martin (du Nord), institua une commission, mais il eut soin de lui assurer de réelles conditions d’indépendance en y appelant des représentans des ponts et chaussées, de l’administration proprement dite, de la haute banque et du commerce[1]. Quand on compare les procès-verbaux des deux commissions, on constate tout de suite que cette fois on s’applique davantage à étudier les questions en elles-mêmes, pour les juger sans parti-pris. Sur le débat élevé entre le gouvernement et l’industrie privée, on déclare qu’il n’y a lieu d’exclure d’une façon absolue ni l’un ni l’autre des deux modes proposés, et que le choix à faire dépend des circonstances. La plupart des avis exprimés alors sont devenus des règles, et sont encore en vigueur aujourd’hui. Les procès-verbaux de la commission peuvent être regardés comme un des documens les plus curieux et les plus importans que nous possédions sur la matière. Le rôle de M. Dufaure comme ministre n’alla pas au-delà de ces travaux préparatoires. Le cabinet si laborieusement enfanté dont il faisait partie, le cabinet du 12 mai, avait quitté les affaires avant que la législature n’eût été saisie des nouveaux projets ; mais le ministère du 1er mars n’eut ensuite qu’à mettre en œuvre les élémens réunis, lorsqu’il présenta aux chambres, en 1840, diverses mesures qui n’engageaient pas la question d’un système général.


II. — SYSTÈME DE 1842.

La situation générale du pays avait profondément changé en quelques mois. L’attention publique se détournait des entreprises d’intérêt matériel pour se porter sur les redoutables problèmes soulevés tout à coup en Orient, et que nous devions voir renaître quatorze ans plus tard sous une autre forme, mais dans des conditions plus sainement appréciées par l’Europe. Il fallait attendre désormais que la tempête qui menaçait d’exciter une conflagration universelle se fût calmée. En 1841 seulement, on put reprendre les études

  1. Cette commission avait parmi ses membres MM. Legrand, Baude, Rivet, d’Argout, Legentil, le comte Jaubert, etc. — M. Smith, dont nous avons mentionné les études spéciales à propos des chemins de fer de la Loire, en était secrétaire.