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moins de le bouleverser dans toute son économie et de provoquer un nouvel ajournement. M. Duvergier de Hauranne demanda seulement qu’il fût exprimé dans un paragraphe additionnel que les lignes classées pourraient être concédées plus tard, s’il y avait lieu, à l’industrie privée, en vertu de lois spéciales. C’était là en apparence du pur platonisme législatif, puisque le droit de la loi restait intact même sans cet amendement; mais les mots ont souvent un sens de convention qui en dépasse le sens réel. L’amendement était une utile protestation en faveur de l’industrie privée. La chambre, en l’adoptant, fit entendre que, si elle n’écartait pas le système actuel, son assentiment était acquis d’avance aux mesures qui agrandiraient la part laissée aux associations particulières. D’abord qualifié d’inutile par le gouvernement, qui ne l’acceptait ni ne le repoussait, l’amendement eut des résultats ultérieurs favorables à l’intervention des compagnies.

La question des voies et moyens, qui donnait lieu à cette addition, transportait le débat entre la ligne unique et les chemins simultanés sur un terrain plus brûlant encore que celui où l’avait placé la question du classement. Après l’épanouissement des passions de localité, on devait avoir ici l’épanouissement mal dissimulé des passions politiques. La nouvelle motion en faveur d’une seule ligne, tenue en réserve depuis l’échec de la proposition de M. de Mornay, et que M. Just de Chasseloup-Laubat se chargea d’introduire, laissait aux localités le bénéfice du classement; mais elle proposait de consacrer tous les fonds disponibles au chemin de la Mer du Nord à la Méditerranée. C’était une manière détournée de reprendre dans sa base le projet de loi. L’hostilité envers le ministère, qui, dans les évolutions relatives au classement et au parcours, n’avait guère eu l’occasion de se manifester, paraissait s’être concentrée sur le dernier acte de cette longue pièce. Le terrain n’était pas mal choisi : tous les élémens dissidens pouvaient s’y rallier sans se compromettre. Parmi les meilleurs esprits de l’assemblée, parmi les hommes les plus expérimentés, il s’en trouvait plusieurs qui adoptaient la ligne unique pour elle-même, pensant qu’on arriverait ainsi plus sûrement à des conséquences pratiques. D’autres redoutaient les embarras financiers qui pouvaient naître d’essais multiples. Sans cesse reproduit depuis 1837, l’argument tiré de l’état de nos finances était rendu plus spécieux aujourd’hui par suite des découverts résultant des nécessités de l’année 1840.

A l’appui de son projet de chemins de fer, le gouvernement n’avait pas manqué toutefois de produire un plan financier. Évaluant les charges du trésor à un chiffre de 4,200 millions, en y comprenant 400 millions pour les lignes ferrées, il avait calculé qu’en dix années on pouvait disposer de 1,229 millions, dont 300 sur un emprunt à négocier encore en partie, et 829 sur le produit des réserves de l’amortissement; mais l’exactitude de ces calculs, qui certes n’exagéraient pas la puissance financière du pays, soulevait diverses contestations. La réserve de l’amortissement, disait-on, était plus qu’absorbée d’avance par les découverts du trésor. L’ancien x>résident du cabinet du 1er mars, M. Thiers, qui dirigeait l’opposition dans cette circonstance, et dont la vive dialectique se trouvait d’autant plus libre qu’il s’était dès longtemps prononcé en faveur de la ligne unique, demandait au moins quatre années pour liquider une situation grevée par des travaux civils