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inacceptables, ces élucubrations révélaient du moins un infatigable esprit de recherche. On pouvait espérer qu’une matière ainsi travaillée finirait par se plier à nos convenances et à nos intérêts.

Ce n’est qu’à partir de 1833 que l’attention du pays s’était portée sérieusement vers les questions de chemins de fer. Un moment, il est vrai, on avait parlé sous la restauration du projet de réunir Le Havre à Paris à l’aide d’une ligne ferrée : c’était le vieux thème de la mer à Paris repris sous une forme nouvelle par le génie industriel moderne; mais cette idée, quoique accueillie favorablement par quelques hommes sérieux, avait été bientôt reléguée dans la région des chimères. Le mouvement qui suivit le vote du crédit de 500,000 fr. en 1833, et que l’exploitation des chemins de la Loire et quelques autres concessions toutes locales commençaient à seconder, fut d’abord lent et presque imperceptible. Qu’il dût bientôt triompher de la distraction et des préjugés publics, on n’aurait guère pu le soupçonner jusqu’au moment où la concession du chemin de fer de Saint-Germain, en 1835, vint étaler le problème au grand jour, sous les yeux de la capitale. Ce fut là un pas immense et si, l’on veut, une seconde étape dans la marche du nouveau système de locomotion. Aucun autre chemin de fer n’avait été d’ailleurs jusque-là créé en France pour le transport des personnes.

L’initiative de l’opération appartient à M. Emile Pereire. L’influence que M. Pereire a Elle sur l’expansion de nos voies ferrées, la situation qu’il s’est faite de ses propres mains, et qui est une des plus hautes situations financières constituées dans ce temps-ci, nous autorisent à entrer dans quelques détails sur l’origine de cette curieuse fortune. Issu d’une famille portugaise que des persécutions contre les Israélites avaient forcée de quitter son pays, et qui s’était fixée à Bordeaux, où elle exerçait le commerce, M. Emile Pereire est venu comme tant d’autres chercher fortune à Paris, il y a une trentaine d’années, à l’âge d’environ quinze ans. Il se dirigea vers la branche d’industrie qu’on peut aborder le plus facilement sans capital, vers la commission et le courtage. Il se maria fort jeune dans la famille d’un courtier de marchandises jouissant sur la place d’une très honorable réputation. On aurait pu croire que cette union allait fixer sa vie dans un milieu très positif; mais elle l’avait rendu le très proche allié d’un des adeptes principaux de l’école saint-simonienne, M. Olinde Rodrigues, qui l’initia à la nouvelle doctrine. Les vives analyses du saint-simonisme dans l’ordre économique plurent à une âme agitée par d’ardentes aspirations. M. Pereire fit partie de l’émigration de Ménilmontant. Dans ses rapports avec la secte de Saint-Simon, son intelligence prit goût aux questions spéculatives. Il écrivit ensuite dans plusieurs journaux, soit seul, soit de concert avec son frère, M. Isaac Pereire, qui l’avait rejoint à Paris et qui l’a constamment secondé depuis dans toutes ses affaires industrielles. Ce fut même à l’occasion d’articles sur des questions financières que M. Emile Pereire fut mis en relation avec le principal banquier de l’Europe, M. de Rothschild, que la communauté de religion servit à lui rendre favorable. M. de Rothschild prêta un concours inappréciable, un concours que rien ne pouvait remplacer, à l’exécution du chemin de fer de Saint-Germain, comme à d’autres œuvres de même nature conçues plus tard par M. Emile Pereire. Financier essentiellement prudent.