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ainsi meurt plus d’un étudiant en médecine qu’une piqûre putride livre à la fièvre suppurative, si rapidement dangereuse ; ainsi s’engendre le typhus dans les hôpitaux, dans les prisons encombrées ; ainsi vole la contagion sur ses ailes agiles et meurtrières.

Toutes ces causes morbifiques si différentes ont aussi des expressions différentes et un enchaînement de phénomènes qui varie de l’une à l’autre, et qui est caractéristique de chacune. Ce qu’on nomme une maladie a sa marche naturelle quand elle est abandonnée à elle-même, ses modifications artificielles quand elle est susceptible d’être modifiée par un traitement, en un mot ses phases, dont la prévision, au dire d’Hippocrate, était la grande preuve du savoir médical. Et en ceci le médecin grec fait éclater sa rare sagacité et admirer la profondeur de ses aperçus ; il a saisi ce qu’il y a spéculativement de capital dans la maladie, a savoir sa régularité. Si chaque maladie a son évolution propre, il faut bien que cela tienne à des conditions permanentes, qui sont la cause morbifique, la substance organique et la perturbation qui en naît, — et pour que la perturbation en naisse toujours la même, il faut bien que la substance organique se modifie toujours de même sous la cause morbifique. Ce seul point, poursuivi dans toute sa portée, suffirait à fonder le vrai rapport entre la pathologie et la physiologie.

Il y a dans la maladie, non pas apparition de lois nouvelles, mais perversion et dérangement des lois préexistantes. En d’autres termes, elle n’est qu’un cas particulier de la physiologie, seulement un cas plus compliqué ; car, outre la condition physiologique qui doit être connue, il faut connaître le mode que détermine la cause morbifique par son action. Dans les temps anciens, les hommes, à l’aspect des phénomènes inattendus, étranges, menaçans, que présente la maladie, crurent qu’elle provenait, soit de la colère des puissances célestes, soit de la méchanceté d’êtres surnaturels et malfaisans. À ce point de vue, la maladie était, dans son essence, aussi éloignée que possible du corps qu’elle frappait, dépendant, non pas du travail qui se passait en ce corps, mais de volontés extérieures et supérieures. Plus tard, l’étude des choses faisant des progrès, les idées se modifièrent, et Hippocrate fut un de ceux qui, dans l’antiquité, s’efforça le plus de faire prévaloir l’opinion que toutes les maladies sont de cause naturelle ; mais, tout en se rapprochant ainsi de la vérité, comme au fond on n’avait, pas encore la connaissance des lois physiologiques, on avait encore moins celle des lois pathologiques qui en dérivent, et la maladie fut considérée comme quelque chose d’essentiel n’ayant rien de commun avec les conditions mêmes de la santé. Enfin un pas de plus a conduit au fait réel, qui est que, dans la maladie, il n’y a rien d’essentiel, rien de créé à nouveau, et que