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révolution, quand on eut besoin de l’adhésion formelle de la princesse Anne au couronnement du prince d’Orange, lady Churchill, plus tard duchesse de Marlborough et confidente de la princesse, ne voulut lui conseiller cette résolution « qu’après avoir consulté, dit-elle, des personnes d’une sagesse et d’une intégrité incontestées, spécialement lady Russell de Southampton-House, et le docteur Tillotson, qui devint ensuite archevêque de Cantorbéry. » Tillotson hésita longtemps avant d’accepter cet archevêché de la main d’un roi dont une partie de l’église anglicane ne reconnaissait pas le titre; ce fut lady Russell qui l’y décida. Consultée par lui à plusieurs reprises et informée des vives instances que lui adressait le roi, après avoir ménagé et discuté les scrupules du docteur, elle lui écrivit : « Le temps me semble venu où vous devez mettre de nouveau en pratique ce principe de la soumission que vous avez jadis tant proclamé vous-même et tant recommandé à d’autres... Vous serez, j’en suis convaincue, un véritable bien public. Considérez combien ce temps produit peu d’hommes capables et intègres, et, je vous en prie, ne retournez pas trop indéfiniment votre résolution dans votre esprit; quand on a examiné une question sous ses faces diverses, on ne fait, en y revenant sans cesse, que se jeter dans de nouvelles perplexités sans y voir plus clair. »

Auprès de son meilleur ami, le docteur Fitz-William, elle n’eut pas le même succès; soit réel scrupule de conscience, soit timidité à braver le blâme d’une portion de son église, il refusa le serment et quitta son bénéfice. Lady Russell essaya de le dissuader de cette résolution, mais en personne aussi consciencieuse que lui : « De quoi s’agit-il ? lui écrivait-elle; d’un mot auquel je n’ai pas rencontré deux hommes qui attachassent exactement le même sens. Vous dites que vous pourriez le prendre dans le sens que lui ont attribué, en l’acceptant, plusieurs hommes de bien. Pourquoi voulez-vous être plus homme de bien qu’eux ? Pour moi, la grande question est de savoir si vous pouvez prêter le serment sans réserve mentale. Je déteste les réserves mentales, soit qu’elles s’adressent à Dieu ou aux hommes. Je sais qu’avec Dieu nous ne pouvons en avoir aucune, quand même nous le désirerions; mais j’ai horreur du seul désir... Au reste, mon bon docteur, quand j’ai commencé à vous écrire, je n’avais pas prémédité un mot de ce que je viens de vous dire à ce sujet; je sais que vous le prendrez en bonne part. Je ne prétends pas argumenter avec vous; mais quand mes désirs sont sérieux, je les exprime sans réserve; acceptez-les et pardonnez-les-moi tels qu’ils sont. » Cette dissidence n’altéra pas un moment leur pieuse intimité.

En toute occasion, avec toutes ses relations, lady Russell, après le triomphe de sa cause et au milieu de son propre triomphe, fut