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Le mois suivant, on le voit mettre ses espérances dans les girondins, qu’il appelle encore les jacobins, et qu’il tient pour ennemis et bientôt vainqueurs de Robespierre et de Marat. L’accent patriotique de leur voix arrive jusqu’à son cœur, et il s’efforce de croire les crimes déjà commis moins irréparablement funestes qu’ils ne l’ont été à la cause de la liberté. Mais il faut rentrer en Angleterre avec lui, et comparer l’état de son âme au mouvement si différent qui entraîna bientôt tous les esprits.


I

La coalition de Pilnitz put plaire au cabinet de Saint-James comme une humiliation possible pour la France. Néanmoins il ne prit aucune part à ses insolentes résolutions. Il y avait trop peu de temps qu’il avait failli s’engager dans une guerre tout autre, indirectement profitable à la France. Pour des griefs douteux, une rupture avec la Russie parut imminente en 1791. Fox, qui avait toujours regardé cette puissance comme une alliée à ménager, soupçonna la futilité des griefs et la possibilité d’un accommodement. Il n’hésita pas à prier un de ses amis, sir Robert Adair, qui voyageait en Russie, peut-être même par ses conseils, de lui faire connaître le véritable état des choses. Il parvint à tout éclaircir, à inspirer au parlement, au cabinet lui-même, des scrupules de prudence, et il détermina un retour à des pensées pacifiques. J’ai vu à Holland-House l’autographe de Catherine II remerciant M. Fox d’avoir préservé les deux pays d’une rupture sans motif. C’est à cette occasion qu’elle voulut placer dans son cabinet le buste de l’orateur anglais entre ceux de Démosthène et de Cicéron.

Je crois que lorsque ce buste arriva à Saint-Pétersbourg, l’impératrice était près d’entrer dans la croisade européenne contre l’indépendance de la France, cette indépendance que Fox défendait d’une voix si généreuse. On lui a reproché, et ce sont les amis de Pitt, c’est l’évêque de Winchester, son précepteur, son secrétaire et son biographe, d’avoir, par une diplomatie occulte et personnelle, communiqué avec une puissance étrangère ; mais, outre que sir Robert Adair a répondu à l’accusation, on aurait mieux fait d’observer que, par un jeu bizarre des événemens, c’est Fox qui a le plus contribué à rendre la Russie, et par suite l’Angleterre, disponibles contre la France, et à supprimer, en empêchant une guerre isolée, le plus sérieux obstacle à la formation d’une ligue de l’absolutisme avec la monarchie constitutionnelle contre la cause de la révolution.

William Grenville était entré en 1786 dans le cabinet. Orateur de la chambre des communes deux ans après et secrétaire d’état en