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des sociétés populaires qui agitaient ce pays, il espérait qu’en déclarant la guerre à son gouvernement, on insurgerait son peuple. Il semblait dire que c’était contre Pitt que la France prendrait les armes. Cette tactique allait devenir toute la diplomatie de la révolution, et Pitt se voyait à la veille d’être déclaré l’ennemi commun des peuples conviés en masse à l’insurrection.

On conçoit que le terme de sa patience fût venu. La politique de neutralité, de non-intervention, d’isolement ou d’égoïsme national, comme on voudra l’appeler, n’était plus de saison. Tout en essayant encore quelque négociation secrète, il se décidait et se préparait à la guerre ; mais il ne voulait pas, en changeant de conduite, changer de principes, ni donner à la guerre les caractères d’une guerre de parti. Au grand scandale de Burke, il alléguait surtout les dangers de la Hollande, à laquelle l’Angleterre était unie par un traité. Toutefois, comme la Hollande n’avait point invoqué l’appui de son allié, Fox était fondé à soutenir que la guerre serait offensive, et qu’au fond il s’agissait d’une intervention dont on dissimulait le principe. La guerre était trop à ses yeux ce qu’aux yeux de Burke elle n’était pas assez. Tous deux se plaignaient qu’on manquât de franchise. Selon Fox, les menaces de la France n’étaient encore que des paroles offensantes ; on avait négligé d’en demander satisfaction ; on voulait donc maintenant la guerre, qu’on avait paru éviter, et c’est à la révolution qu’on la déclarait. « La France, disait-il, a dans sa querelle la justice de son côté… Dieu soit loué ! La nature a été fidèle à elle-même ; la tyrannie a été vaincue, et ceux qui combattaient pour la liberté sont victorieux. » Puis, rappelant le temps où il était de mode d’insulter les Américains, de dire : Un congrès de vagabonds, un certain Adams, Hancock et sa clique, il jugeait, au cruel démenti infligé par les événemens à ces ridicules dédains, des châtimens qui attendaient les insultes prodiguées aux auteurs de la révolution française. « Si s’affliger à la nouvelle des revers de la France, c’est vouloir le renversement de la constitution, je me livre à mon pays comme un criminel, car je confesse franchement que lorsque j’ai entendu parler du bruit, alors probable, du triomphe de l’Autriche et de la Prusse sur les libertés de la France, mes esprits sont tombés dans l’abattement. Quel homme, aimant la constitution de l’Angleterre et en portant les principes dans son cœur, pourrait souhaiter le succès du duc de Brunswick après avoir lu son manifeste ? Je confesse que j’ai ressenti une sincère tristesse, une vraie consternation, car j’ai vu dans le triomphe de cette conspiration, non-seulement la ruine de la liberté en France, mais la ruine de la liberté en Angleterre, la ruine de la liberté humaine. »

Ces nobles paroles répondaient à Burke, à tous ceux qui confondaient