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notre cause était juste, notre conduite irréprochable, notre gloire sans mélange. L’Angleterre elle-même ne pouvait refuser toute admiration à ce spectacle d’un peuple combattant seul contre l’Europe pour son indépendance. Si le gouvernement révolutionnaire avait eu bonne envie de mettre un terme à la lutte, s’il s’était, sans concession ni faiblesse, abstenu seulement de provocations et de violences, le bon sens de la nation anglaise, venant en aide au parti de la paix, aurait pu amener un accommodement, car la guerre n’avait pas un but déterminé ; son gouvernement même en la faisant n’en avait point. Deux opinions dominaient dans son parti, toutes deux belliqueuses, mais l’une volontairement, l’autre à regret. Les uns combattaient la révolution pour la détruire, les autres pour s’en défendre, et ne demandaient pas mieux que d’abandonner la France à elle-même le jour où ils le pourraient sans danger. Pitt se posait dans un milieu assez indécis entre ces deux opinions. Il n’aurait point voulu passer pour subjugué par la première : il craignait, en suivant la seconde, de tomber dans la politique un peu bourgeoise qui sacrifie tout à la tranquillité du moment ; il craignait surtout de paraître céder à ses adversaires. La paix lui était demandée par les mêmes hommes qui l’accusaient de fouler aux pieds la constitution de son pays. Négocier pour la paix ou abandonner la place à Fox semblait une seule et même chose, et Pitt trouvait une satisfaction digne de sa fierté à tenir tête à l’orage et à gouverner dans la tempête.

Cependant il n’était point sourd au cri des intérêts en souffrance. La prolongation d’une lutte dont le terme semblait reculer dans l’obscurité, le naufrage des espérances et des combinaisons qui au début promettaient une prompte réussite, l’état des finances, chaque jour plus accablées par de nouveaux besoins, l’imprudence de se laisser engager sans retour dans le champ illimité d’une guerre de principes pour un parti qu’il trouvait plus chevaleresque que politique et plus déclamateur encore que chevaleresque, cette défiance des idées absolues, propre à tous les hommes de gouvernement, la crainte de devenir le complice d’un enthousiasme quelconque, tout lui laissait un fonds de perplexité, lors même qu’il montrait tous les dehors d’une intrépide détermination. Il tenait à conserver l’appui de ce groupe respectable d’amis de l’humanité que M. Wilberforce sanctifiait par sa piété et illustrait par son éloquence. Là on ne dissimulait pas un vif désir de la paix. Wilberforce l’exprimait sans détour ; il soutenait en l’amendant une motion pacifique de Grey. Lui-même en 1795 il faisait dans ce sens une proposition directe ; il ne réussissait pas, mais cette idée restait comme un germe que l’avenir pouvait développer. L’Angleterre cependant n’avait jamais peut-être été plus agitée. La Société dite de Correspondance,