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pur respect de la justice, épousé noblement une cause qui n’était la leur que parce qu’ils étaient les ennemis de l’oppression. Pitt, embarrassé de leur attaque, n’avait point, pour se défendre à l’aise, les préjugés passionnés d’un lord Eldon, qui tenait rudement tête à lord Grenville, et il lui fallut opposer à Fox des distinctions douteuses, des restrictions subtiles, et plaider les circonstances contre les principes. Les pétitions des catholiques furent rejetées, mais la considération de Pitt ne gagna pas à cette victoire. Enfin un dernier coup l’attendait. Une irrégularité financière, qui, si elle n’avait les caractères du péculat, pouvait en avoir rapporté les bénéfices, fut prouvée contre lord Melville, et, provoquée par Whithread, une accusation de la chambre des communes alla frapper jusque dans le pouvoir ce fidèle Dundas, le vieux compagnon des travaux du premier ministre dans ses jours de puissance et de fortune. Il fallut que la main de Pitt rayât le nom de Melville de la liste même du conseil privé.

Cette cruelle affaire avait troublé, divisé le cabinet ; lord Sidmouth s’était retiré ; la situation ministérielle paraissait en péril pour la session prochaine. Cependant Pitt attendait d’ailleurs la diversion qui devait le sauver. Il avait décidé la Russie ; la coalition était formée ; l’Autriche y accéda le 24 août 1805. Les côtes d’Angleterre cessèrent d’être menacées par le camp de Boulogne, la guerre s’étendit sur un plus vaste théâtre ; mais si le patriotisme de Pitt put s’enorgueillir de la journée du 20 octobre, où Nelson triomphant mourait à Trafalgar, sa politique Recevait presque le même jour un échec mortel par la capitulation d’Ulm, La bataille d’Austerlitz était gagnée le 2 décembre, et la paix de Presbourg signée le 26. Triste, affaibli, malade, Pitt mourut le 23 janvier suivant (1806). Il n’avait que quarante-sept ans. On a remarqué qu’à cet âge son père n’avait pas encore été ministre.

Le parlement fut convié à lui voter des honneurs funèbres. La mort rehausse toute gloire, et les Anglais ne sont ingrats envers aucun de leurs grands hommes. Leur reconnaissance est une partie de leur orgueil. Pitt, malgré sa décadence, laissait un large vide dans les affaires de son pays. Malgré les revers de sa politique, rien de plus légitime que les hommages qu’on voulut lui rendre. Toutefois Fox ne pouvait s’y associer. On a beaucoup loué ce qu’il dit dans cette occasion et les éloges qu’il donna à quelques-unes des grandes qualités de son rival. Son langage en effet ne fut pas sans noblesse, mais je le louerai surtout de sa franchise ; je le louerai de s’être mis au-dessus de l’affectation d’une fausse générosité, et d’avoir refusé résolument d’affaiblir l’autorité de ses convictions en s’inclinant, même pour un moment, devant la politique qu’il avait combattue pendant vingt-cinq années.