la femme du mahout l’appelle ! il l’écoutera. » La femme l’appela, et le furieux Malleer revint absolument comme l’aurait fait un épagneul à l’appel de son maître. « Que la femme le monte avec son enfant et l’emmène ! » dit le roi. Malleer s’agenouilla sur l’ordre de la femme. Elle monta sur son dos. Malleer lui donna d’abord le cadavre mutilé de son mari, puis son enfant. À partir de ce moment, il ne voulut plus d’autre mahout qu’elle. En vérité nous sommes bien dans l’Inde, la terre du panthéisme. Les hommes vivent pour ainsi dire dans la compagnie des bêtes, et les bêtes dans celle des hommes ; les hommes parlent aux bêtes, et celles-là comprennent ; ils font un échange de caractères et de sentimens. À eux seuls, les animaux occupent un grand tiers de ce livre, et ce qu’il y a de frappant, c’est que ces animaux sont des manières de personnages dans l’état ; ce sont des êtres historiques, des individualités. L’éléphant Malleer, les, tigres Kagra, Teraï-Wallah et Burrhea, le cheval mangeur d’hommes, sont des caractères.
Telle était la vie de Nussir-u-deen, et telle sera la vie de tout roi d’Oude, jusqu’au jour où l’Angleterre aura jugé convenable de ne pas protéger plus longtemps de telles infamies. Nous n’avons pas à donner de conclusions ; elles se tirent d’elles-mêmes de ce récit. Les traités qui unissent la tyrannie des rois d’Oude à la protection de la compagnie sont aussi coupables, jusqu’à un certain point, que les traités qui accorderaient aux traficans d’esclaves la protection des gouvernemens et des lois. Il n’y a entre ces deux faits qu’une nuance très subtile, et cette protection n’est qu’un des derniers restes de cette vieille politique machiavélique qui s’inquiète avant tout du bénéfice matériel, politique sur laquelle l’esclavage a été fondé, et en vertu de laquelle il est encore conservé, défendu et excusé. Les Anglais se sont débarrassés de l’esclavage, il est bien permis de croire qu’ils en finiront aussi avec cette protection accordée à des roitelets sanguinaires, et qu’ils ne voudront pas éternellement permettre qu’avec leur autorisation des millions d’hommes soient tyrannisés, ruinés, spoliés et abandonnés à l’ignorance et au vice. Les victimes sont réellement intéressantes, et les bourreaux le sont fort peu ; la protection de l’Angleterre est donc, si nous pouvons nous exprimer ainsi, placée à rebours. C’est en faisant le vœu qu’il en soit autrement que nous terminerons ces pages, où nous avons voulu donner une idée de cet Orient dont on nous étourdit depuis vingt-cinq ans, et où nous nous sommes proposé pour but de conquérir, s’il nous était possible, quelques ennemis de plus à ces détritus de civilisations naguère splendides, aujourd’hui embarrassantes et pestilentielles.