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depuis 1848. Les élémens en sont bons ; il ne leur manque que d’être bien dirigés, chose plus difficile qu’on ne pense, car il ne suffit pas d’avoir des chanteurs habiles pris isolément, il faut surtout qu’ils forment un corps bien discipliné et soumis au chef qui préside à l’exécution générale. M. Calzado apprendra sans doute un peu à ses dépens qu’on ne s’improvise pas du jour au lendemain directeur d’un théâtre comme l’opéra italien de Paris. Quoi qu’il en soit de l’expérience nécessaire pour manier ces natures délicates et fiévreuses qui se vouent aux plaisirs du public, on a repris Otello pour les débuts de Mme Penco, qui nous est arrivée d’Italie avec une réputation qui avait besoin d’être revue et corrigée par le goût parisien. Mme Penco est une jeune cantatrice de vingt-cinq ans à peu près, d’une taille élancée, d’une physionomie vive, et dont la voix de soprano, d’une étendue ordinaire, a plus d’éclat et de puissance que de flexibilité. Elle s’est trouvée tout d’abord dépaysée dans le chef-d’œuvre de Rossini, dont elle a balbutié la langue divine, parce que depuis longtemps on ne la parle plus dans le pays où règne le patois de M. Verdi. Mme Penco a été obligée d’intercaler dans la partition du grand maître un air de Donizetti, et, dans les morceaux qu’on ne lui a pas permis de supprimer, elle a été insuffisante et médiocre. Le reste a été à l’avenant, et M. Graziani, qui chantait le rôle de Iago, s’est aussi donné la satisfaction de passer sous silence le beau duo du premier acte. Il en est arrivé de même pour celui des deux femmes :

Quanto son fieri i palpiti
Che desta in noi l’amor !


En sorte qu’on nous a donné un Otello tout à fait digne des chanteurs modernes. On a repris ensuite le Barbier de Séville pour la rentrée de M. Mario, qui a chanté le rôle d’Almaviva avec une voix fatiguée et en gentilhomme qui se trouve égaré sur les planches d’un théâtre. Le public parisien, qui ne ressemble pas à celui de Saint-Pétersbourg, pas plus qu’à celui de Londres ou de New-York, a fait comprendre à M. de Candia qu’il exigeait plus de zèle de la part des artistes qu’il daigne écouter. M. Mario a très bien pris la leçon, et s’est exécuté de son mieux. Le Barbier de Séville n’en a été pas moins saccagé, et excepté Mme Borghi-Mamo, qui nous a surpris dans le rôle de Rosine, et M. Zucchini, qui est un artiste de talent et qui l’a prouvé en jouant fort bien le rôle de Bartolo, tout le reste est pitoyable, y compris l’orchestre. M. Everardi n’a pas été aussi heureux dans le personnage de Figaro que dans celui de Dandini de Cenerentola. Son accent gaulois se trahit à chaque mot et altère l’exquise fluidité de cette musique dont on ne se lasse pas plus que de la lumière. Ainsi qu’on devait s’y attendre, on a repris également il Trovatore de M. Verdi, qui est le grand cheval de bataille de la saison et, comme on dit vulgairement, la pièce à recettes. Nous n’avons point à revenir sur une partition que nous avons longuement appréciée ici l’année dernière, et dont le succès recrudescent n’a point modifié notre opinion. Nous nous rangeons volontiers parmi ces esprits moroses qu’on appelait autrefois, sous la monarchie constitutionnelle, des doctrinaires, lesquels, sans méconnaître le prix de la popularité, savent résister à ses exagérations. M. Verdi n’est point une école, mais un accident qui passera vite,