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l’emporte, tantôt c’est la vigne, et la pièce se termine par le mariage de Cérès et de Bacchus dans les personnes insignifiantes de Simonne et de Pierre. À travers cette idylle paysanesque, où le langage berrichon du Champy de Mme Sand se mêle aux bucoliques de M. Pierre Dupont, on voit le personnage odieux de Nicolas lutter de ruse et d’égoïsme avec celui non moins désagréable de Jacques le vigneron, sans qu’on puisse s’intéresser aux froides amours de Simonne et de Pierre, qui se lamentent sur des pipaux rustiques de la fabrique de M. Sax.

La musique des Saisons est de M. Victor Massé, qui s’est fait connaître depuis une dizaine d’années par deux ou trois opérettes, telles que la Chanteuse voilée, Galathée et les Noces de Jeannette, dont nous avons loué dans le temps la grâce un peu cherchée et la distinction, sans nous faire illusion pourtant sur les défauts du jeune compositeur. M. Victor Massé s’est essayé depuis dans un opéra en trois actes, la Fiancée du Diable, dont le succès n’a pas répondu à ses efforts. A-t-il été plus heureux dans celui qui nous occupe en ce moment ? Nous n’oserions l’affirmer. Sans mentionner l’ouverture, qui ne se fait remarquer que par un andantino contenant d’agréables détails d’instrumentation, nous ne pouvons citer au premier acte que le chœur de l’introduction, qui a de la vigueur ; la romance que chante Nicolas en l’honneur du blé, et par la bouche de M. Bataille, romance qui est moins un chant proprement dit qu’une sorte de contour mélodique, et puis l’air de Mlle Duprez, tout rempli d’étincelles, et sans qu’on puisse en dégager une idée facilement saisissable. Le second acte, moins riche que le premier, renferme un trop grand nombre de couplets et de chansonnettes visant à l’effet par des piperies de rhythme qui sont usées, un trio qui n’est pas réussi, un air de basse qui manque de relief, et une scène dramatique, où Mlle Duprez fait preuve d’un grand talent. Le troisième acte, moins abondant encore que les deux autres, ne contient qu’un bel air de soprano que Mlle Duprez chante avec le style et la vigueur qui distinguent l’école d’où elle est sortie. Peut-être même pourrait-on reprocher à cette jeune et vaillante prima-donna d’exagérer quelquefois son élan et de dépasser le but. Nous sommes loin de méconnaître tout ce qu’il y a de distinction, de grâce et de finesse dans les détails de cette partition, qui pèche évidemment par le défaut d’ampleur et de variété. M. Victor Massé semble jusqu’ici manquer du souffle nécessaire pour fournir la carrière d’un opéra en trois actes. Ce doute, que nous avons émis il y a plusieurs années, ne préjuge rien pour l’avenir de M. Massé : nous sommes cependant forcé de convenir qu’on n’y a pas encore répondu d’une manière victorieuse. Dans tous les cas, ce n’est pas la musique, d’ailleurs distinguée, des Saisons qui est de nature à calmer nos inquiétudes. L’exécution de cette œuvre ennuyeuse est aussi bonne que possible à l’Opéra-Comique. M. Bataille, qui est un artiste intelligent et un chanteur de goût, n’a pu réussir complètement dans un rôle ingrat qui impatiente le public, et il faut tout l’entrain de M. Couderc pour tirer parti du personnage non moins désagréable de Jacques Balu. C’est Mlle Caroline Duprez qui a eu les honneurs de la soirée dans le rôle de Simonne, qui n’a point été écrit pour sa voix, puisqu’il était destiné à Mme Ugalde.