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une reine sans crédit, mais environnée de femmes charmantes, et quelle liaison il forma avec Mlle de Hautefort, dont il célèbre la surprenante beauté, ajoutant, comme s’il avait peur de la compromettre, qu’elle avait beaucoup de vertu[1]. Nous pouvons écarter le voile de ce langage incertain, et nous ne voyons pas pourquoi La Rochefoucauld, si peu réservé, hélas ! sur un point bien autrement délicat, montre ici quelque embarras à nous dire qu’il devint amoureux de la belle Marie. C’est peut-être qu’il eût fallu avouer que, loin d’être accueillie, cette passion dut se borner à une adoration respectueuse, selon les mœurs de la galanterie du temps ou plutôt selon le goût particulier de l’héroïne. La Rochefoucauld aima Mlle de Hautefort sans oser le lui dire ; mais quelque temps après, étant à l’armée et à la veille d’une bataille, il alla trouver le marquis de Hautefort avec lequel il servait, lui fit confidence de sa passion, et lui donna une lettre pour sa sœur, en lui faisant promettre que, s’il périssait dans le combat, il la lui remettrait et lui dirait de sa part ce qu’il ne lui avait jamais dit, et que, s’il n’était pas tué, il lui rendrait sa lettre à lui-même et lui garderait fidèlement son secret. C’était là comme on faisait la cour à Mlle de Hautefort. Ce n’est pas ici d’ailleurs le temps de parler de ses conquêtes ; celui où nous en sommes arrivés n’était pas la saison des amours, et des choses plus sérieuses et presque tragiques se passaient dans l’intérieur de la reine.

Lasse de souffrir, Anne d’Autriche rêva quelque entreprise désespérée pour sortir d’embarras, ou du moins elle intrigua avec Mme de Chevreuse, alors reléguée en Touraine, et entretint une correspondance équivoque avec ses deux frères, le cardinal infant et le roi Philippe IV, pendant que l’Espagne était en guerre avec la France[2]. Un de ses domestiques qu’elle employait à cette correspondance, et qui avait tous ses secrets, La Porte, fut arrêté, jeté dans un cachot de la Bastille, soumis aux plus terribles épreuves. Après avoir commencé par tout nier, la reine, pressée par Richelieu et par des indices irrécusables, craignant les derniers malheurs, fit de grands aveux, que nous connaissons bien aujourd’hui, et qui, tout graves qu’ils sont déjà, ne devaient pas être complets, car s’ils l’eussent été, la reine n’avait qu’à faire dire tout simplement à La Porte par le chancelier Séguier, et par une lettre de sa propre main, de déclarer tout ce qu’il savait, tandis qu’elle tint une conduite bien différente. Elle considéra son salut comme suspendu à deux fils : il fallait que, selon le tour que prendrait l’affaire, Mme de Chevreuse pût fuir ou rester ; il fallait surtout que La Porte, dans ses interrogatoires, ne dépassât pas les

  1. Mémoires, collection Petitot, t. II, p. 348.
  2. Voyez le détail de toute cette affaire dans notre premier article sur la Duchesse de Chevreuse, livraison du 1er décembre.