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auxquelles il attribuait une céleste origine ; « c’est vrai ! Avons-nous remercié l’empereur ? O Dieu d’Israël ! moi, Rebb Schlome Hahn, moi sur qui Pawel et Honza ont craché avec mépris parce que Pawel et Honza vont à l’église, moi, Rebb Schlome, je puis maintenant devenir bourgmestre, je puis établir ma boutique là où bon me semblera, je puis me faire bâtir une maison auprès de l’hôtel du premier conseiller de la ville, et si j’ai de quoi m’acheter un champ, je puis vivre de mes récoltes ! O Dieu d’Israël ! de quelle manière, remercie-t-on l’empereur pour des bienfaits comme ceux-là ? » Et, suivant toujours sa pensée, il se demandait naïvement ce que l’empereur avait voulu en promulguant un tel décret, quel était le but de cette loi, le sens de cette épreuve, en un mot par quels actes de reconnaissance et de bon vouloir les gens du ghetto se montreraient dignes de la libéralité du souverain. Un vague sentiment de la transformation de ses frères s’éveillait alors dans son esprit et devenait peu à peu plus distinct : « Ne disent-ils pas toujours (et il avait en vue les ennemis implacables de sa race), ne disent-ils pas toujours que le Juif n’est pas fait pour la vie des champs, qu’il aime mieux se traîner par la ville avec son sac de marchandises que de prendre en main le timon de la charrue et d’aiguillonner une paire de bœufs ? Hélas ! n’est-il pas trop fondé, ce reproche qu’ils nous adressent, et n’est-ce pas maintenant surtout qu’ils auront le droit de le répéter avec injure, si nous ne profitons pas dignement et courageusement de la nouvelle vie qui nous est offerte ? Moi, du moins, j’accomplirai ce devoir ; aussi vrai que je me nomme Rebb Schlome Hahn, je veux montrer à l’empereur ce que je puis faire. La chère Tillé a raison ; le Dieu d’Israël a parlé par sa bouche. »

C’est ainsi que Rebb Schlome s’est décidé à quitter sa boutique du ghetto pour aller cultiver son coin de terre. Une parole inspirée de sa fille a éveillé en lui de graves méditations ; il a compris qu’il y avait là un sérieux devoir à remplir, et aussitôt, sans prendre conseil de sa femme Nachime, sans lui communiquer ses plans, sans l’élever peu à peu à ce même sentiment du devoir, il a vendu son fonds de commerce et acheté une petite ferme dans le pays tchèque. Au moment ou il s’enthousiasme si vaillamment pour la régénération des Juifs, au moment où il promet à l’empereur de s’associer pour sa part à l’œuvre bienfaisante de la loi, il obéit encore aux instincts du vieil homme. C’est l’esprit oriental qui reparaît ici ; c’est le Juif hautain, impérieux, chez qui les habitudes du temps des patriarches ont dégénéré en tyrannie domestique. Pourquoi n’essaie-t-il pas de convertir Nachime à ses idées ? Nachime est bien triste déjà de quitter le ghetto et de recommencer à son âge une existence nouvelle ; ce dur silence jettera dans son cœur le germe d’une rancune amère et implacable. La première condition du succès dans ce