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déposer ; mais les témoins interrogés à Vaucouleurs sont unanimes pour attester la joviale incrédulité avec laquelle le vieux chevalier accueillit le récit du père Laxart. En entendant parler d’une jeune fille qui voulait aller en guerre et partir pour faire lever le siège d’Orléans, le capitaine fut pris d’un fou rire ; il crut avoir affaire à une folle ou à une ribaude, et conseilla à Laxart de corriger sa nièce à grands renforts de soufflets en faisant bonne garde autour d’elle. Jeanne mit cette première humiliation au pied de la croix, et fortifiée par les voix de sainte Catherine et de sainte Marguerite, avec lesquelles elle déclarait entretenir un commerce journalier, elle suivit résolument ses projets. Elle déclara au petit nombre de personnes devant lesquelles son cœur s’était ouvert qu’il lui fallait partir pour rejoindre le dauphin, dût-elle se traîner à pied jusque lui, car elle seule au monde pouvait empêcher Orléans de succomber. Son impatience dévorait le temps et l’espace, et dans ses sublimes angoisses elle ressemblait, au dire d’une villageoise que sa foi avait vaincue, à une femme en peine attendant sa délivrance[1].

Trop sûre d’elle-même pour rien craindre, la jeune fille aborda sans intermédiaire le vieux capitaine, et lui rappelant des prédictions dont l’existence n’était alors contestée par qui que ce fût, elle lui déclara qu’elle était la personne désignée pour sauver la France et réparer les maux attirés sur le royaume par une autre femme. L’impression produite par les paroles de Jeanne fut vive, si l’on en juge par les actes qui suivirent. Robert de Baudricourt craignit sans doute d’engager sa responsabilité, soit en privant le roi, dans l’extrémité de ses affaires, d’un secours peut-être miraculeux, soit en lui adressant une créature placée sous la puissance de l’enfer. Il commanda donc au curé de la paroisse d’exorciser Jeanne pour savoir si elle venait de par Dieu ou de par Satan ; mais loin de s’agiter comme une réprouvée sous l’étole, la jeune fille à genoux la serra sur sa poitrine, témoignant d’ailleurs quelque étonnement que le curé eût pu se prêter à une telle épreuve après l’avoir si souvent entendue en confession. Ce fut probablement alors que Baudricourt écrivit au roi pour l’informer des événemens qui occupaient Vaucouleurs et la Lorraine tout entière.

Le bruit en était déjà arrivé jusqu’au duc : Jeanne avait été appelée à Nanci près de ce prince, qui lui adressa de pressantes questions relatives à ses intérêts personnels et à son état de santé. Avec la réserve qui fut l’un des traits les plus persévérons de son caractère, elle répondit au duc Charles qu’elle n’avait d’autre mission que de rendre le royaume de France au dauphin, et qu’elle ne savait ni ne

  1. « Et erat tempus sibi grave ac si esset millier preguans, eo quod non docebator ad delphinum ; et post hoc, ipsa testas et multi alii suis verbis crediderunt. » (Déposition de Catherine Le Royer, Procès de révision, t. II, p. 447.)