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LA PETITE COMTESSE.

Cette folle a-t-elle une âme ? — Le mot de néant m’est échappé. C’est qu’en vérité il m’est difficile de concevoir ce qui pourrait survivre à ce corps une fois qu’il aura perdu la fièvre vaine et le souffle frivole qui semblent seuls l’animer.

Je connais trop le misérable train du monde pour prendre à la lettre les accusations d’immoralité dont Mme de Palme est ici l’objet de la part des sorcières, et de la part aussi de quelques rivales qui ont la bonté de porter envie à son mérite. Ce n’est pas à ce point de vue, tu le comprends, que je la traite avec cette rigueur. Les hommes, lorsqu’ils se montrent impitoyables pour certaines fautes, oublient trop qu’ils ont tous plus ou moins passé une partie de leur vie à les provoquer pour leur compte. Mais il y a dans le type féminin que je viens de t’esquisser quelque chose de plus choquant pour moi que l’immoralité même, qui du reste en est difficilement séparable. Aussi, malgré mon désir de ne me singulariser en rien, n’ai-je pu prendre sur moi de me joindre au cortège d’adorateurs que Mme de Palme traîne après son char. Je ne sais si

Le tyran dans sa cour remarqua mon absence ;

je serais tenté de le croire quelquefois aux regards d’étonnement et de dédain dont on me foudroie en passant ; mais il est plus simple d’attribuer ces symptômes hostiles à l’antipathie naturelle qui sépare deux créatures aussi dissemblables que nous le sommes. Je la regarde parfois de mon côté avec la surprise ébahie que doit éveiller chez tout être pensant la monstruosité d’un tel phénomène psychologique. De cette façon nous sommes quittes.

Je devrais plutôt dire : nous étions quittes, car nous ne le sommes véritablement plus depuis une petite aventure assez cruelle qui m’est arrivée hier soir, et qui me constitue dans mon compte courant avec Mme de Palme une avance considérable, qu’elle aura de la peine à regagner. — Je t’ai dit que Mme de Malouet, par je ne sais quel raffinement de charité chrétienne, témoignait une vraie prédilection à la petite comtesse. Je causais hier soir avec la marquise dans un coin du salon : je pris la liberté de lui dire en riant que cette prédilection, venant d’une femme comme elle, était d’un mauvais exemple, que je n’avais jamais bien compris, pour moi, ce passage de l’Évangile où le retour d’un seul pécheur est célébré par-dessus le mérite assidu d’un millier de justes, et que cela m’avait toujours paru très décourageant pour les justes.

— D’abord, me dit Mme de Malouet, les justes ne se découragent point : ensuite il n’y en a pas. — Croyez-vous en être un, vous, par hasard ?

— Pour cela, non : je sais parfaitement le contraire.