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œuvre des causes finales universelles, il est dans chaque cas tant d’effets coordonnés à une même cause, et qui en dérivent immédiatement, qu’il est fort difficile de juger ou la convenance ou la non-convenance de ce qui est établi. Au siècle de Voltaire, où les millionnaires se croyaient obligés de se connaître en littérature et ne traitaient pas encore les hommes d’état et les hommes de lettres famillionnairement, suivant l’heureuse expression de M. Henri Heine, un fermier-général demandait à Fréron des conseils sur l’art de juger les œuvres littéraires : « Dites toujours que c’est mauvais, lui répondit le rude critique ; c’est un moyen assuré d’avoir presque toujours raison. » On peut admettre la théorie contraire pour ce qui s’observe dans les opérations de la nature. Admettre que ce qui est a de bonnes raisons d’être, c’est s’appuyer sur une probabilité qui approche bien près de la certitude ; seulement ce qui a été fait dans une planète pour certaines raisons peut avoir été fait différemment dans une autre pour d’autres raisons non moins bonnes dans cet autre monde. Sempre bene.

J’ai toujours remarqué que ceux qui m’adressaient des questions sur les mondes planétaires étaient inquiets pour les planètes supérieures et très éloignées du soleil du peu de chaleur que doivent avoir là les rayons de notre Phébus terrestre. Ce mot grec qui caractérise le soleil par le mot de brillant, d’éclatant, d’ardent, de lumineux par excellence, paraît un peu exagéré pour une planète comme Jupiter, où il est vingt-sept fois moins brillant que pour nous. Il l’est, avons-nous dit, cent fois moins pour Saturne, quatre cents fois moins pour Uranus, et neuf cents fois moins pour Neptune. Quelle délicatesse ne faudrait-il donc point admettre dans les organismes vivans de ces planètes pour y rendre les rayons solaires efficaces ? Voici ce que je réponds à cette question, en laissant du reste au questionneur toute liberté de juger lui-même d’après les faits, ou d’examiner toute autre solution qu’il lui plaira d’imaginer.

La sensation du froid et de la chaleur n’est que relative. Dans les environs de Paris et dans l’Europe moyenne, où le thermomètre peut varier entre des extrêmes distans de 50 à 60 degrés centigrades, des variations de 5 à 6 degrés ne nous sont guère sensibles, mais les Européens qui arrivent dans les régions intertropicales, comme au Brésil, aux Antilles, dans l’Inde, s’habituent tellement à cette température constante, qu’en peu d’années les plus petites variations de chaleur leur deviennent insupportables, et qu’il n’y a point pour eux assez de manteaux et de fourrures pour les en préserver. Les habitans de la zone torride semblent, par leurs amples vêtemens, avoir pour but de se préserver de toute participation à la température extérieure d’après le proverbe espagnol, que ce qui préserve du froid préserve tout aussi bien de la chaleur. Nos sens ne jugent et ne sont impressionnés que par comparaison et par contraste. La source qui nous paraît froide l’été nous paraît chaude l’hiver. Il en est de même des eaux et des lieux peu accessibles aux variations thermiques des saisons. Les Latins et les Grecs avaient déjà très bien noté ces effets organiques. Pour ne pas remonter si haut, je citerai une observation de notre savant voyageur français, M. Antoine d’Abbadie. Étant en Abyssinie, il voulut se plonger dans un bain qui lui parut tellement froid, et lui causa une sensation tellement