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rougit jusqu’au front, balbutia deux ou trois paroles que je n’entendis pas, et sortit de l’appartement, ayant perdu toute contenance.

Cette déroute précipitée me laissa moi-même très confus. Je ne saurais admettre que nous devions pousser le respect pour le sexe faible jusqu’à nous prêter sottement à tous les caprices et à toutes les entreprises qu’il peut plaire à une femme de diriger contre notre repos ou contre notre dignité ; mais notre droit de légitime défense en de telles rencontres est circonscrit dans des limites étroites et délicates que je craignais d’avoir franchies. Il suffisait que Mme de Palme fut isolée dans le monde, et sans autre protection que son sexe, pour qu’il me parût extrêmement pénible d’avoir cédé sans mesure à l’irritation, juste d’ailleurs, que m’avait causée son impertinente récidive. Comme j’essayais d’établir entre nos torts réciproques une balance qui calmât mes scrupules, on frappa de nouveau à la porte de la bibliothèque. Ce fut cette fois Mme de Malouet qui entra. Elle était émue. — Ah çà ! me dit-elle, qu’est-ce donc qui s’est passé ? Je lui contai de point en point le détail de mon entretien avec Mme de Palme, et, tout en exprimant un profond regret de ma vivacité, j’ajoutai que la conduite de cette dame à mon égard était inexplicable, qu’elle m’avait pris deux fois en vingt-quatre heures pour objet de ses gageures, et que c’était beaucoup trop d’attention de sa part pour un homme qui lui demandait uniquement la grâce de ne pas s’occuper de lui plus qu’il ne s’occupait d’elle.

— Mon Dieu ! me dit la bonne marquise, je ne vous reproche rien. J’ai pu apprécier par mes yeux, depuis quelques jours, votre conduite et la sienne ; mais tout cela est fort désagréable. Cette enfant vient de se jeter en pleurant dans mes bras. Elle prétend que vous l’avez traitée comme une créature…

Je me récriai : — Madame, je vous ai rapporté textuellement mes paroles.

— Ce ne sont pas vos paroles, c’est votre air, votre ton… Monsieur George, permettez-moi de m’expliquer franchement avec vous : avez-vous peur de devenir amoureux de Mme de Palme ?

— Nullement, madame.

— Avez-vous envie qu’elle devienne amoureuse de vous ?

— Pas davantage, je vous assure.

— Eh bien ! faites-moi un plaisir : mettez pour aujourd’hui votre amour-propre de côté, et accompagnez Mme de Palme à la chasse.

— Madame !

— Le conseil vous paraît singulier ; mais vous pouvez croire que je ne vous le donne pas sans y avoir réfléchi. L’éloignement que vous témoignez à Mme de Palme est précisément ce qui attire vers vous cette enfant impérieuse et gâtée. Elle s’irrite et s’obstine contre