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tendant ces mots, Hamid-Bey, qui n’était rien moins qu’un illuminé, s’imagina qu’Emina avait des visions, et qu’elle était tant soit peu prophétesse. — Je savais bien que cette petite n’était pas comme tout le monde, — se dit-il en ouvrant de grands yeux ; puis il ajouta tout haut : — Tu avais entendu la voix de Dieu ? En vérité ! Et quand ? Et que te dit-il ?

Emina pouvait en ce moment établir son empire plus solidement qu’Ansha n’avait assuré le sien : elle n’avait qu’à confirmer son bey dans sa méprise, ou seulement à ne pas la détruire ; mais Emina ne comprenait rien ni à sa position, ni au caractère de son mari, et elle ne se douta seulement pas qu’elle touchait au but de tous ses efforts. Elle se hâta donc de répondre : — Quand je dis que j’ai entendu la voix de Dieu, je ne prétends pas l’avoir entendue comme j’entends la tienne, noble seigneur. Dieu parlait à mon cœur, et je savais que cette voix était la sienne, parce qu’elle me disait des choses qui ne pouvaient venir que de lui.

— Hum ! se dit Hamid rassuré et refroidi, ce ne sont après tout que des enfantillages ; elle ne doit pas avoir la tête bien forte.

— Au reste, ajouta Emina, qui ne se doutait aucunement de l’impression qu’elle venait de produire, la voix de Dieu ne s’adressait pas à moi seule, et je voyais bien que les animaux étaient aussi favorisés que moi.

— Elle est tout à fait divertissante, cette petite, pensa Hamid, et sa physionomie, jusque-là assez attentive, prit tout à coup et d’une façon si brusque son expression habituelle de moquerie, qu’Emina devint muette comme la tombe. — Tu ne dis plus rien ? dit le bey après un moment de silence. Tu n’as plus d’histoires à me conter ? C’est dommage, car elles sont assez drôles ; mais tu en trouveras d’autres, j’espère. Où donc est Ansha ?

Ansha n’était pas loin ; elle attendait avec impatience dans la pièce voisine la fin d’une conférence dont la durée commençait à l’inquiéter. À peine son nom eut-il été prononcé (Ansha avait l’habitude d’écouter aux portes), qu’elle se hâta de paraître. Un coup d’œil aussi rapide que perçant lui apprit qu’elle n’avait rien à craindre, et Hamid ayant laissé entendre qu’il désirait causer avec elle, Emina, qui comprenait ce genre d’insinuation à demi-mot, se retira en silence.

Cette fois l’entretien des deux époux roula sur Emina. Hamid avoua qu’elle lui paraissait singulière, et qu’il ne savait trop si son cerveau n’était pas un peu dérangé ; il s’enquit naïvement près d’Ansha si elle n’avait pas fait la même remarque. Ansha l’avait faite, qu’on n’en doute pas. Elle prit un air hypocrite qui lui alla fort bien, et elle avoua en soupirant que cette enfant ne répondait pas exactement à l’idée qu’elle s’en était formée. Elle avait des distractions nom-