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sieurs heures, pendant lesquelles on fit plusieurs jeux à la mode du pays, avec une magnificence véritablement royale. Quand la nuit commença, le roi fit allumer par tout le palais grande quantité de flambeaux, et, après que tout fut achevé, il donna bonne escorte de ses gens aux religieuses et aux Espagnols, qui, après avoir remercié le roi de ses faveurs, allèrent passer la nuit dans leurs galères, où ils croyaient d’être plus en repos, » — Voilà certes un charmant tableau de genre. Je n’ai pu résister au plaisir de le détacher de son cadre, et de donner en quelque sorte une seconde représentation de cette audience cochinchinoise au xviie siècle. Le roi et la reine avec leur garde silencieusement rangée, le capitaine espagnol et ses soldats pleins de leur belle gravité, les deux pères religieux vêtus de leurs longues robes, puis les héroïnes de la cérémonie, les quatre religieuses toujours « bien voilées, » — tous ces personnages sont groupés avec un art infini ; on croirait voir de vieux portraits dont les couleurs solides ressortent à travers la poussière du temps. La cour de Cochinchine ne donne plus aujourd’hui de pareilles fêtes, ni de si beaux ballets ; on n’y accueillerait plus avec tant d’égards et de respect la visite de pauvres religieuses. Le christianisme est frappé de proscription, l’entrée du pays est interdite aux missionnaires ; enfin, quand le capitaine d’un navire de guerre obtient une audience des mandarins, ce sont des troupes déguenillées qui portent les armes (une lance rouillée ou un vieux mousquet), et non plus, comme en 1645, ces magnifiques soldats au cimeterre garni d’argent ! La Cochinchine telle que l’a vue le père de Rhodes est donc bien loin de nous.

Il faut avoir un corps de fer pour résister aux perpétuelles fatigues d’une mission apostolique ; on use ses forces et on perd vite sa santé à guérir tant d’âmes. Le père de Rhodes tomba malade, et cet incident, très fâcheux sans doute, nous procure quelques détails assez curieux sur la médecine et sur les médecins du pays. En général, les missionnaires se sont montrés fort indulgens pour les médecins chinois. M. Huc, on s’en souvient, a déclaré qu’ils n’étaient pas plus mauvais que les autres, il leur a même décerné des brevets pour la guérison de plusieurs maladies qui en Europe sont réputées incurables. Le père de Rhodes rend également hommage aux médecins cochinchinois de son temps ; il leur reconnaît une habileté particulière à connaître le pouls et à deviner les maladies (car dans ce singulier pays c’est le médecin qui doit dire au malade ce que celui-ci éprouve, et s’il se trompe, il passe pour un âne) ; les drogues ne sont pas désagréables au goût et elles ne coûtent pas cher ; bien mieux, on ne paie le médecin qu’après guérison, et on obtient un rabais quand le malade est vieux. Voilà de grands avantages ; aussi