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steppes de terre noire d’Orembourg. En examinant le budget de leurs dépenses annuelles, je trouve pour la première un total de 643 fr., et pour la seconde de 2,551. J’en conclus que le revenu de l’une est le quadruple environ de l’autre ; mais je ne tarde pas à m’apercevoir que je commettrais une lourde bévue en tirant si vite cette conclusion. D’abord la famille de Baschkirs se compose de huit personnes, deux hommes, deux femmes et quatre enfans, tandis que celle des paysans des steppes se compose de dix, quatre hommes, trois femmes et trois enfans. Ensuite je vois que, dans le premier cas, toutes les denrées alimentaires sont comptées à un prix, et dans le second à un autre complètement différent. Enfin je découvre que, dans les dépenses des paysans des steppes, on a porté 1,113 fr. 45 cent, de corvées exécutées pour le seigneur, 4 fr. 57 c. pour un mouton de redevance, 23 fr. 76 c. pour la capitation, tandis que, dans celles des Baschkirs, on n’a fait figurer que 8 fr. 69 c. pour tout impôt. Au lieu d’une idée nette de la condition respective des deux familles, je n’ai plus qu’une idée confuse, et si je veux me rendre compte, je suis obligé de prendre la plume pour faire le travail que l’auteur n’a pas fait pour moi.

Ce travail fait, il me reste un scrupule : M. Le Play ne me dit pas s’il a choisi ces deux familles dans les conditions moyennes du pays. Si, par exemple, il a pris des Baschkirs pauvres et des paysans d’Orembourg aisés, tout le laborieux échafaudage de ma comparaison s’écroule, et ses propres chiffres ne signifient rien. Voilà l’inconvénient capital des monographies quand elles ne sont pas appuyées par des recherches de statistique générale. On peut sans doute facilement abuser des moyennes, et on en a souvent abusé ; il est cependant impossible de rien conclure sans cette notion fondamentale. J’aurais besoin, pour savoir si la famille qu’on me présente est réellement un type, de connaître le budget de plusieurs familles du même peuple, et même l’ensemble de la production et de la consommation de la contrée. Ce n’est qu’en discutant ces chiffres les uns par les autres que je pourrais me faire une opinion raisonnée, et ma conviction serait plus ou moins profonde suivant que j’aurais eu plus ou moins de moyens pour la former. M. Le Play ayant eu soin de circonscrire son sujet le plus possible, ou d’étudier une seule famille à l’exclusion de toutes les autres, je ne puis me débarrasser d’un doute sur la portée scientifique des faits qu’il m’expose.

Le doute s’accroît quand on pénètre dans les détails. Ainsi l’on trouve que la famille de paysans d’Orembourg consomme tous les ans 7,177 kilog. de grains, dont la moitié environ en froment, et sans compter le seigle qui sert à fabriquer le qvas, 123 kilog. de corps gras, 1,000 kilog. de lait de vache, 618 kil. de viande, 557 kil. de pois secs, etc. ; c’est beaucoup. Cette famille se compose de dix