la Russie au système d’engagemens volontaires en usage dans l’Occident. Tous les ouvriers de la Suède ont la libre disposition de leurs personnes ; ils sont en principe complètement indépendans du propriétaire et du chef d’industrie. En fait cependant, ils sont toujours liés à ces derniers par la tradition. De là, entre les diverses classes, une solidarité qui entretient chez les ouvriers le respect et l’affection pour leurs maîtres, et qui, en leur assurant le bienfait du patronage, les garantit contre les éventualités provenant des maladies, de la vieillesse, des chômages, des disettes et des autres calamités publiques. Sous cette impulsion salutaire, les ouvriers suédois se sont élevés à un degré remarquable de moralité ; ils puisent souvent dans l’épargne les moyens de parvenir à la propriété. Ainsi se recrute une classe de paysans-propriétaires qui forme un des quatre ordres de la constitution, et dont l’influence s’accroît chaque jour.
Ce tableau flatteur doit être un peu exagéré ; je ne comprends pas qu’un système quelconque puisse garantir les populations contre la disette, c’est-à-dire l’insuffisance de récolte. Je pourrais signaler aussi chez M. Le Play quelques contradictions : ainsi il parle de la facilité qu’ont les paysans suédois de s’élever par l’épargne à la propriété, et dans ses deux monographies il dit formellement que la famille, étant défendue par le patronage contre toutes les éventualités malheureuses, ne fait jamais d’épargnes ; les épargnes ne sont faites que par les ouvriers qui suivent le système des engagemens momentanés, et qui ne participent pas aux bienfaits du patronage. Bornons-nous à constater avec lui que la condition du paysan suédois est en général assez bonne, bien qu’il soit libre. Cette supériorité se manifeste surtout chez les femmes ; les femmes suédoises appartenant à la classe ouvrière se distinguent par des manières polies et par un ajustement de bon goût ; les ouvriers de plusieurs provinces ont pour leurs femmes et leurs filles des prévenances qu’on ne remarque ailleurs que chez les classes élevées ; on voit rarement les femmes porter d’énormes charges comme en Allemagne et en France. Cette observation est fine et vraie.
Parmi les cinq monographies autrichiennes, la plus brillante est celle des Jobajjy, ou paysans agriculteurs à corvée des plaines de la Theiss, Hongrie centrale. Nous rentrons ici dans le système des engagemens forcés. La commune qu’habite l’ouvrier est située à la naissance des vastes plaines d’alluvion qui séparent la Theiss du Danube. Le territoire tout entier est la propriété d’une famille jouissant des droits seigneuriaux sur les terrains, sur les maisons et sur les personnes. Un grand domaine est cultivé en régie pour le compte du seigneur ; le reste du sol, concédé aux habitans depuis une époque fort reculée, moyennant des redevances en travail et en produits, est exploité par eux, en partie dans le système de la propriété