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ivoires antiques qui nous sont parvenus, quand l’épiderme n’est pas complètement exfolié, révèlent aussi un travail dur qui a voulu corriger la douceur de l’ivoire.

Lorsque les dimensions s’agrandissent, les dangers aussi bien que les ressources croissent en proportion. Ne faut-il pas à la fois fouiller plus vivement l’ivoire et compter sur ses effets plus mous, sur ses reflets plus larges ? Ne faut-il pas forcer le modelé de peur qu’il ne paraisse plat, ménager des ombres plus profondes de peur que la lumière ne s’étende avec uniformité ? Ne faut-il pas surtout obtenir cette couleur que le ciseau sait obtenir du marbre ? J’ignore les procédés ; je pose seulement des questions que M. Simart ne paraît point s’être posées à lui-même. Du moins, s’il a voulu les résoudre, l’exécution l’a trahi. Un autre sculpteur eût peut-être deviné d’inspiration les secrets de l’ivoire ; mais le plus sage était d’étudier les œuvres des maîtres, afin d’apprendre comment on lutte avec la matière et comment on dégage toute sa beauté.

Ce qui est vrai pour le visage ne l’est pas moins pour les bras de la Minerve. Ils offrent de bonnes parties, par exemple les parties pleines et arrondies, où l’office naturel de l’ivoire concourt à faire valoir le talent de l’artiste. Assurément le haut des bras a une grâce pleine d’ampleur ; leurs attaches avec les épaules sont puissantes et d’un caractère vraiment noble. Malgré son indécision, le bras qui porte la Victoire a d’heureux contours. Au contraire les parties où le travail est compliqué, où les détails délicats doivent paraître, les muscles se dessiner sous la chair, les articulations se nouer finement, tout cela est vide, paralysé, sans vraisemblance. Les mains sont lourdes, les poignets sans liberté ; les faces antérieures des avant-bras paraissent aplanies au rabot et d’une simplicité toute primitive. Est-ce à dire que M. Simart n’a point appliqué les principes de l’art qu’il possède si bien ? A-t-il commis des erreurs aussi sensibles ? Non certes, quoique l’on ne puisse méconnaître une affectation d’archaïsme et une naïveté éginétique qui n’a rien de commun avec Phidias : les frontons du Parthénon protestent hautement. Non, c’est toujours la matière qui s’est jouée du talent qui la pensait dompter. Approchez-vous, tout près, plus près encore, et vous distinguerez les preuves d’une science qui se dérobe à quelques pas. L’ivoire, par la délicatesse de ses tons et la faible valeur de ses ombres, efface des détails que le marbre, plus fidèle, eût transmis. Si vous pouviez atteindre au visage de la déesse, vous reconnaîtriez que le nez a assez de saillie, que la bouche est bien creusée, que les paupières sont étoffées et moelleuses. Qui sait ? le front, de loin, semblait plat ; peut-être reprendrait-il aussi la proéminence qu’il a d’ordinaire sur les bustes antiques, d’autant que les huit chevaux du casque