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Peut-être serait-il plus à propos de chercher à caractériser le genre de littérature auquel se i-attachent les ouvrages de Mme d’Arbouville, et surtout l’ordre d’idées et de sentimens au sein duquel il a pris naissance. Tout cela appartient à une partie ou à une époque de la société qui pourra bien ne pas se répéter souvent, et voilà déjà un peu de temps que le talent a commencé à prendre d’autres voies. Les critiques de l’antiquité, qui ne craignaient pas le langage technique, disaient qu’il y avait comme des lieux littéraires, des topiques pour parler comme eux, ou plutôt des fonds de pensées distincts où pour chaque genre, dans chaque occasion, chaque auteur devait s’approvisionner. Ils ne laissaient guère au talent que l’originalité de la forme, et classaient sous diverses étiquettes les matériaux communs de toute composition. Nous ajouterions aujourd’hui, ce me semble, à leurs énumérations des articles qu’ils n’ont pas prévus, car à nos yeux il n’y a pas seulement pour l’écrivain des sources distinctes suivant les sujets et les genres, il y en a de différentes suivant les temps. Chaque époque renouvelle le trésor où le talent doit puiser. Non-seulement il s’élève par momens des opinions nouvelles, mais de nouvelles manières de sentir ce qui est de tous les temps. Ces variations de l’esprit et même du cœur humain, assez peu observées jadis, ne l’ont jamais été si bien que de nos jours. C’est une idée qui appartient à notre siècle que tout a son histoire, et la littérature, dans la succession de ses formes, n’est que la contre-épreuve des métamorphoses morales de cette changeante identité qu’on appelle la nature humaine.

S’il fallait désigner d’une manière superficielle, mais vraie, le genre auquel appartenait l’esprit de Mme d’Arbouville, on pourrait l’appeler le genre romanesque ; cependant ce mot serait loin de la faire personnellement connaître. Elle n’avait rien dans le monde, non plus que dans la simplicité de sa vie, qui rappelât le roman. La gaieté de sa conversation et la douce sérénité de son caractère et de son existence formaient un contraste agréable et piquant avec le tour rêveur et mélancolique que prenait sa pensée dès qu’elle remontait dans le domaine de l’imagination ; mais là elle se sentait à l’aise, et aucun calcul, aucun effort, aucune prétention ne se mêlaient à cette exaltation naturelle dont la trace se retrouve partout dans ce qu’elle écrit. Le romanesque, pour continuer à me servir de ce mot, n’est pas quelque chose d’uniforme, ni qui se produise dans toutes les sphères, à toutes les phases de la société. Par exemple, je soupçonne que jamais société n’a été moins romanesque que la société française en ce moment, et si elle l’était, ce serait assurément de toute autre façon que dans un autre âge. Aujourd’hui on appellerait de ce nom une excentricité fiévreuse et systématique à la fois,