grand côté de Rousseau, c’est de prendre tout au sérieux, et c’est par là qu’il a fortement agi sur son siècle.
Avant le début du nôtre, il y avait dans le coin du monde de Paris où régnait l’esprit du précédent une disposition habituelle à tout développer par la conversation. L’empire de cette disposition dans notre pays, ses effets de toutes sortes n’ont peut-être jamais été exactement décrits. La conversation tantôt aggrave, tantôt atténue ; elle simplifie, elle complique ; elle calme, elle entraîne. Elle crée de nouveaux besoins de l’âme, et satisfait quelquefois ceux qu’elle n’a pas créés. Par elle, tout s’allume, mais tout s’exhale. La parole devient tour à tour un excitant et une diversion. Elle ajoute aux sentimens qu’elle exprime et souvent les contente en les exprimant. Dans ce qu’on appelle la société, elle peut cependant devenir une affaire sérieuse ; favorisée par l’oisiveté, elle en trouble quelquefois le repos, et transforme en émotions, en sentimens, en passions même, de simples aperçus de l’esprit. C’est en partie par la conversation qu’à la suite de la révolution française se forma, dans les âmes attristées et découragées, une sorte de théorie nouvelle de la vie et du bonheur. La rupture de beaucoup de liens sociaux et les subits changemens de fortune ne permettaient plus cette préoccupation des biens, des honneurs et des plaisirs, si puissante chez les heureux de l’ancien régime. L’enthousiasme de certaines idées s’était refroidi ; la foi dans les systèmes avait fait place à un sentiment contraire. On ne se sentait plus porté à confier la société aux entreprises de la pensée, et de ce côté le découragement avait supplanté l’espérance. On retombait naturellement sur soi-même. Les affections intimes reprenaient leur empire ; la vie individuelle paraissait comme le seul champ qui restât à l’activité de l’âme. Les affections avaient souffert, mais du moins elles n’avaient pas trompé. La douleur constate la sensibilité, et ne la dissipe pas. Aimer et réfléchir semblaient donc ce qui restait de mieux à faire ; l’on crut bientôt que dans le cœur seul il fallait chercher le bonheur. Là seulement les regrets avaient leur douceur, les mécomptes même n’humiliaient pas, et les émotions qui plaisent pouvaient innocemment atteindre au ravissement et au transport. L’imagination ajoute en effet beaucoup plus aux plaisirs du cœur qu’aux joies de la raison, et nos sentimens nous conduisent plus que nos idées sur le bord de l’infini. De là un goût de rêverie qui, issu du malheur et de la déception, conservait un caractère de vague mélancolie. La littérature en prit quelque chose, et l’on se souvient de la faveur qui s’est attachée quelque temps à la poésie comme à la philosophie rêveuse.
La mère de Mme d’Arbouville fut élevée auprès de sa grand’mère. Elle avait rapporté de l’île de France, où elle était née, un cœur