Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/599

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passion une réalité moins voilée. Une pure et vague poésie ne suffisait pas aux ardeurs philosophiques des générations que j’ai bien connues ; mais elles auraient été bien mal douées, si elles n’avaient du moins en admiration rendu au poète ce qu’elles pouvaient lui refuser en sympathie. Les besoins de notre âme allaient au-delà, mais notre imagination ne pouvait s’élever au-dessus.

Chez les femmes, au contraire, la sympathie était sans limites ; l’effet fut intime et profond. Je sais des âmes pour qui tout date de là, et qui n’ont entrevu l’idéal que cette fois. Mme d’Arbouville appartenait aux générations que bercèrent les chants inspirés par Elvire. Ce fut sans aucun doute la poésie de M. de Lamartine qui, en passant par son cœur, donna l’éveil à son talent. Élevée dans cette atmosphère de sentimens exquis et purs, entourée dans la famille de sa mère d’âmes vives et délicates, que le bien seul et le malheur ont touchées, elle dut ressentir avec plus de puissance qu’aucune les émotions où se plaisait cette poésie, puisqu’au don de les éprouver elle unissait celui de les reproduire. De bonne heure, lorsqu’elle cessait à peine d’être une enfant, elle essaya des vers, et elle eut tout de suite de la pureté et de la grâce. Son premier recueil, le Manuscrit de ma Grand’Tante, prouve qu’elle composait sous l’empire d’un sentiment sincère, puisqu’elle voulait se cacher, et prêter à une vieillesse feinte les songes de sa jeune imagination. Elle est elle-même la jeune femme à qui apparaît l’ange de poésie, et qui lui répond :


« J’écouterai ta voix, ta divine harmonie.
Et tes rêves d’amour, de gloire et de génie.
Mon âme frémira comme à l’aspect des cieux ;
Des larmes de bonheur brilleront dans mes yeux.
Mais de ce saint délire ignoré de la terre
Laisse-moi dans mon cœur conserver le mystère.
Sous tes longs voiles blancs cache mon jeune front ;
C’est à toi seul, ami, que mon âme répond.
Et si dans mon transport m’échappe une parole.
Ne la redis qu’au Dieu qui comprend et console.
Le talent se soumet au monde, à ses décrets ;
Mais un cœur attristé lui cache ses secrets.
Qu’aurait-il à donner à la foule légère
Qui veut qu’avec esprit ou souffre pour lui plaire ?
Ma faible voix a peur de l’éclat et du bruit,
Et comme Philomèle elle chante la nuit.
Adieu donc, laisse-moi ma douce rêverie,
Reprends ton vol léger vers ta belle patrie. »
L’ange reste près d’elle ; il sourit à ses pleurs.
Et resserre les nœuds de ses chaînes de fleurs ;