Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/636

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cette physiologie du cœur. Dickens ne calme jamais la nôtre ; il choisit les sujets où elle se déploie seule et plus qu’ailleurs, la longue oppression des enfans tyrannisés et affamés par leur maître d’école, la vie de l’ouvrier Stéphen, volé et déshonoré par sa femme, chassé par ses camarades, accusé de vol, languissant six jours au fond d’un puits où il est tombé, blessé, dévoré par la fièvre, et mourant quand enfin on arrive à lui. Rachel, sa seule amie, est là, et son égarement, ses cris, le tourbillon de désespoir dans lequel Dickens enveloppe ses personnages ont préparé la douloureuse peinture de cette mort résignée. Le seau remonte apportant un corps qui n’a presque plus de forme, et l’on voit la figure pâle, épuisée, patiente, tournée vers le ciel, pendant que la main droite, brisée et pendante, semble demander qu’une autre main vienne la soutenir. Il sourit pourtant et dit faiblement : « Rachel ! » Elle vient et se penche jusqu’à ce que ses yeux soient entre ceux du blessé et le ciel, car il n’a pas la force de tourner les siens pour la regarder. Alors, en paroles brisées, il lui raconte sa longue agonie. Depuis qu’il est né, il n’a éprouvé que misère et injustice : c’est la règle ; les faibles souffrent et sont faits pour souffrir. Ce puits où il est tombé a tué des centaines d’hommes, des pères, des maris, des fils qui faisaient vivre des centaines de familles. Les mineurs ont prié et supplié les hommes du parlement, par l’amour du Christ, de ne point permettre que leur travail fût leur mort, et de les épargner à cause de leurs femmes et de leurs enfans, qu’ils aiment autant que les gentlemen aiment les leurs : tout cela pour rien. Quand le puits travaillait, il tuait sans besoin ; abandonné, il tue encore. Stephen dit cela sans colère, doucement, simplement comme la vérité. Il a devant lui son calomniateur et son père ; il ne s’indigne pas, il n’accuse personne ; il charge seulement le père de démentir la calomnie tout à l’heure, quand il sera mort. Son cœur est là-haut, dans ce ciel où il a vu briller une étoile. Dans son tourment, sur son lit de pierre, il l’a contemplée, et le tendre et touchant regard de la divine étoile a calmé, par sa sérénité mystique, l’angoisse de son esprit et de son corps. « J’ai vu plus clair, dit-il, et ma prière de mourant a été que les hommes puissent seulement se rapprocher un peu plus les uns des autres, que lorsque moi, pauvre homme, j’étais avec eux. — Ils le soulevèrent, et il fut ravi de voir qu’ils allaient l’emporter du côté où l’étoile semblait les conduire. Ils le portèrent très doucement, à travers les champs et le long des sentiers, dans la large campagne, Rachel tenant toujours sa main dans les siennes. Ce fut bientôt une procession funéraire. L’étoile lui avait montré le chemin qui mène au Dieu des pauvres, et son humilité, ses misères, son oubli des injures l’avaient conduit au repos de son rédempteur. »

Ce même écrivain est le plus railleur, le plus comique et le plus