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LA PETITE COMTESSE.

vallée ; le vent siffle dans les mines et en arrache des fragmens qui tombent lourdement sur le sol. Une pluie violente bat mes vitraux. — Il me semble qu’il pleut des larmes !

Des larmes ! j’en ai le cœur rempli,… et pas une ne veut monter jusqu’à mes yeux ! — J’ai prié pourtant, j’ai prié Dieu longuement, — non pas, mon ami, ce Dieu insaisissable que nous poursuivons vainement au-delà des étoiles et des mondes, mais le seul Dieu vraiment secourable aux affligés, le Dieu de mon enfance, — le Dieu de cette pauvre femme !

Ah ! je ne veux plus songer qu’à mon retour près de toi. Après-demain, mon ami, et peut-être avant que cette lettre…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Viens, Paul ! — Si tu peux quitter ta mère, viens, je t’en supplie, viens me soutenir. Dieu me frappe !

J’écrivais cette ligne interrompue, quand, au milieu des bruits confus de la tempête, mon oreille a cru saisir le son d’une voix, d’une plainte humaine. Je me suis jeté à ma fenêtre ; je me suis penché au dehors pour percer les ténèbres, et j’ai entrevu sur le sol noir et inondé une forme vague, une sorte de paquet blanchâtre. En même temps un gémissement plus distinct est monté jusqu’à moi. — Une lueur de la terrible vérité m’a traversé l’esprit comme une lame aiguë. — J’ai gagné dans la nuit la porte du moulin ; près du seuil, j’ai vu un cheval abandonné ; il portait une selle de femme. Je me suis précipité en courant vers l’autre face des ruines, et dans le clos qui est situé sous la fenêtre de ma cellule et qui garde encore des traces de l’ancien cimetière des moines, j’ai trouvé l’infortunée. Elle était là, assise et comme écrasée sur une vieille dalle tumulaire, grelottant de tous ses membres sous les torrens d’eau glacée qu’un ciel impitoyable versait sans relâche sur sa légère toilette de fête. J’ai saisi ses deux mains, essayant de la relever. — Ah ! malheureuse enfant ! qu’avez-vous fait ? ah ! malheureuse !

— Oui, bien malheureuse ! a-t-elle murmuré d’une voix faible comme un souffle.

— Mais vous vous tuez !

— Tant mieux… tant mieux !

— Vous ne pouvez rester là !… Venez !… — J’ai vu qu’elle était hors d’état de se soutenir. — Ah ! Dieu bon ! Dieu puissant ! que faire ?… Qu’allez-vous devenir maintenant ? Que voulez-vous de moi ?…

Elle n’a pas répondu. Elle tremblait, et ses dents se heurtaient. Je l’ai enlevée dans mes bras et je l’ai emportée. On réfléchit vite dans de tels instans. Aucun moyen imaginable pour la faire sortir de cette vallée, où les voitures ne peuvent pénétrer. Rien n’était désormais