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REVUE. — CHRONIQUE.

probable que la session qui s’ouvre sera la dernière du parlement actuel. Selon la constitution anglaise, un parlement peut durer sept années ; mais il est bien rare qu’il vive au-delà de quatre ou cinq ans[1]. C’est un corps qui s’use vite, et que ses incessantes convulsions condamnent à une fin prématurée. Or la crise intérieure à laquelle le parlement actuel est en proie offre de tels caractères, que, sans être un grand docteur, on peut y démêler déjà les symptômes d’une dissolution prochaine. Tâchons donc de saisir sa physionomie avant qu’il ait disparu.

C’est au mois de février dernier que lord Palmerston a pris la direction du gouvernement. Jusque-là, il n’avait occupé qu’un poste secondaire dans le cabinet présidé par lord Aberdeen. Comment et pourquoi lord Aberdeen est-il tombé ? comment et pourquoi lord Palmerston est-il arrivé au faîte même du pouvoir ? Tout le monde se le rappelle. C’est parce que lord Aberdeen était accusé de manquer de vigueur dans la guerre engagée contre la Russie ; c’est parce qu’on lui attribuait, en dépit de ses protestations réitérées, l’intention de faire la paix à des conditions insuffisantes. On voulait une guerre bien faite pour être certain d’arriver à une paix solide. Lord Aberdeen ne paraissait répondre à aucune des exigences de ce programme, et on l’a renversé. Lord Palmerston, au contraire, semblait être l’homme tout spécial d’une telle situation. S’il n’eût pas existé, il eût fallu l’inventer ; mais il existait, on l’avait sous la main, et il n’y avait qu’à le prendre. Aussi la reine, en le mettant à la tête d’un nouveau cabinet, ne fit-elle en quelque sorte qu’homologuer l’arrêt d’une puissance plus souveraine qu’elle-même, l’arrêt de l’opinion publique. Il n’y eut pas jusqu’à lord John Russell qui, malgré de vieilles antipathies et de récentes rivalités, ne se crût obligé, sous la pression irrésistible des circonstances, d’accepter lord Palmerston comme l’homme nécessaire, et d’abaisser sa propre importance au rôle de simple utilité ministérielle dans le département des colonies.

Certes une telle situation était bien forte. Jamais premier ministre ne débuta sous de plus favorables auspices. Il avait la plénitude du pouvoir sans les périls de la lutte. C’était Pitt moins Fox. Le parti tory, après avoir vu la guerre de mauvais œil, s’était laissé entraîner, par esprit d’opposition, à la vouloir plus énergiquement que personne au moment où le ministère Aberdeen était accusé de ne la vouloir que faiblement. Le parti whig, à très peu d’exceptions près, jetait feu et flammes contre la Russie, et l’on n’a point oublié que son chef, lord John Russell, n’avait pas hésité à déclarer, malgré la discrétion qu’aurait dû lui inspirer sa position officielle, qu’il n’était pas possible de songer à la paix tant que Sébastopol serait debout. Donc lord Palmerston, à son avènement, jouissait de cet avantage singulier d’être poussé par tout le monde à peu près dans le sens de ses propres idées. Il n’y avait pour lui qu’à se laisser aller au courant. Les radicaux de l’école de Manchester protestaient seuls contre l’entraînement général ; mais, dans le public comme dans les chambres, on était très disposé à tourner en ridicule ce qu’on appelait leur monomanie de paix à tout prix ou de guerre à

  1. La chambre des communes actuelle date de juillet 1852. Le précédent parlement avait duré cinq ans. Celui qui fut élu en 1835 ne dura que deux ans et demi, et le premier parlement nommé en vertu du bill de réforme seulement deux années.