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REVUE. — CHRONIQUE.

dans la politique de la guerre, ceux-là faisaient, il faut en convenir, une assez singulière figure à côté des radicaux de l’école de Manchester.

Cette première levée de boucliers réussit peu. On en prépara une autre. M. Layard lança sa fameuse motion pour la réforme administrative. Assurément cette motion avait du bon, et en toute autre circonstance elle eût mérité d’être prise en considération : de grands abus existent en effet dans les diverses branches de l’administration civile, militaire, judiciaire ; mais il est évident qu’avant tout cette motion impliquait un vote d’hostilité contre le nouveau cabinet. Or celui-ci n’était pas plus particulièrement responsable que ses prédécesseurs des vices signalés dans la gestion générale et traditionnelle des affaires. Aussi plusieurs des anciens ministres qui se trouvaient en ce moment engagés dans la ligue contre lord Palmerston ne se sentirent-ils pas le courage de faire une campagne sur ce terrain glissant pour eux ; M. Gladstone blâma publiquement l’initiative prise un peu à la légère par M. Layard, et la motion fut rejetée par 359 voix contre 46.

Ces deux avortemens successifs semblaient devoir ralentir l’ardeur des assaillans. Malheureusement pour le cabinet, il y avait parmi ses membres un homme dont la position équivoque donnait étrangement prise à la critique, même aux yeux des spectateurs les moins passionnés. On sait que lord John Russell, tout en acceptant un département tant soit peu secondaire dans les conjonctures présentes, était allé à Vienne représenter la pensée du gouvernement anglais au sein de la conférence. Ses instructions étaient précises : il devait y maintenir les quatre points de garantie posés d’un commun accord par la France et l’Angleterre. On devait d’autant moins douter de sa persévérance à les défendre, qu’en mainte occasion, au milieu du parlement, il avait parlé de ces quatre points comme d’un minimum auquel il était impossible de rien retrancher, sous peine de se condamner à une déception. À Vienne, lord John Russell prêta cependant l’oreille à d’autres propositions, et les transmit à son gouvernement, qui les rejeta. Que lord John Russell eût changé d’avis, cela n’avait rien d’extraordinaire ni même de blâmable. Les conférences, les discussions, ont précisément pour objet d’éclairer les esprits et de modifier des opinions préconçues. Si chacun y apportait des idées immuables, à quoi bon se réunir et engager un débat ? Lord John Russell avait donc parfaitement le droit d’adopter à Vienne d’autres vues que celles qu’il avait en partant de Londres. Ce qui est moins explicable de la part d’un homme profondément versé dans les habitudes constitutionnelles, c’est que, n’ayant pu faire partager à ses collègues sa nouvelle manière de voir, il ait continué à siéger à côté d’eux, exposé tous les jours soit à s’entendre demander compte d’opinions qui n’étaient plus les siennes, soit à trahir quelque dissidence qui ne pouvait que nuire à la considération du gouvernement. En France, M. Drouyn de Lhuys, qui se trouvait dans une situation analogue, mais qui n’avait pas à répondre à des interpellations parlementaires, s’était cru obligé de résigner ses fonctions ministérielles. À plus forte raison la retraite semblait-elle être un devoir dans les conditions gênantes et délicates que crée à un homme d’état sa présence obligée à la chambre des communes.

Lord John Russell ne le comprit pas ainsi. Il resta aux affaires, comme s’il devait lui être possible de se faire assez petit pour n’y être pas aperçu. En ce point, il ne se rendait pas justice, et l’opposition avait trop d’intérêt à