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REVUE. — CHRONIQUE.

difficilement que l’Angleterre rêve aujourd’hui de pareilles conquêtes, surtout après s’en être fermé le chemin par un traité formel. Toutefois il ne faut pas se dissimuler que, dans la crise où se débat actuellement le parti gouvernant en Amérique, il est nécessaire d’avoir dix fois raison pour ne pas se créer des occasions de querelles avec lui. Le général Pierce touche au terme de son pouvoir ; il est menacé de rentrer bientôt, lui et tout son parti, dans l’obscurité d’où l’avaient momentanément tiré les caprices du scrutin. Ses compétiteurs sont nombreux et tellement divisés, que, depuis les premiers jours de décembre, ils n’ont pu parvenir, dans la chambre des représentans, à se mettre d’accord pour le choix d’un président de cette assemblée. Dans une situation aussi troublée, quand tous les partis sont tourmentés d’une égale impuissance, le besoin des diversions extérieures est bien vif, et chacun, faute d’être naturellement accepté, songe à se rendre nécessaire. Donc c’est à qui surexcitera l’amour-propre américain, lequel n’est pas peu irritable ; c’est à qui traitera les questions pendantes au point de vue exclusif du succès électoral. La tactique est d’autant plus facile, qu’on se figure assez volontiers là-bas l’Angleterre très suffisamment occupée par la guerre contre la Russie. Pour peu que lord Palmerston se laissât aller à quelque intempérance de langage ou d’allure, il se mettrait bientôt de ce côté-là quelque méchante affaire sur les bras, et sa situation politique ne manquerait pas d’en être profondément affectée dans le parlement, en face d’adversaires prompts à profiter de toutes les fautes.

Sur la question de la guerre actuelle, l’opposition n’a pas encore non plus beaucoup de prise contre lui. En dehors de la sphère parlementaire, nul doute que l’opinion ne lui ait été, jusqu’ici du moins, généralement favorable. C’est là un fait qui ressort avec évidence de toutes les manifestations populaires. Lisez les comptes-rendus des nombreux meetings qui, depuis la clôture de la session, ont entretenu la vie politique dans toute l’étendue des trois royaumes. Sur vingt réunions, vous en trouverez dix-huit où la majorité s’est prononcée d’une manière non équivoque dans le sens de la direction imprimée par lui aux affaires. Les sifflets qui ont accueilli lord John Russell et l’ont empêché de parler à Guildhall, le jour de l’installation du nouveau lord-maire, sont à cet égard un témoignage d’autant plus frappant, qu’ici le mécontentement prenait la forme d’une inconvenante ingratitude. Le caractère politique de lord John Russell peut être diversement apprécié ; néanmoins, dans la circonstance dont il s’agissait, au milieu de ce banquet qui inaugurait l’avènement d’un israélite à la plus haute dignité municipale, on n’aurait pas dû oublier les efforts persévérans de l’ancien ministre pour faire rayer de la législation anglaise les incapacités humiliantes qui atteignent encore, sur le seuil de la chambre des communes, les coreligionnaires de M. David Salomons. Cet oubli des bienséances, de la part de la Cité, est assurément fort blâmable ; mais il n’en atteste que mieux l’état des esprits. On aurait été moins brutal, si l’on eût été plus indifférent.

Dans le parlement, lord Palmerston ne rencontre pas des sympathies aussi vives : c’est là un fait également certain, qu’explique tout ce qui précède ; mais, au milieu des difficultés qui l’attendent, l’influence du dehors, pénétrant pour ainsi dire par les fenêtres, lui viendra puissamment en aide, s’il