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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/690

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REVUE DES DEUX MONDES.

conditions de la comédie, et tout compte fait, la Revanche de Lauzun ne satisfait pas à ces conditions. Je ne chicanerai pas M. Paul de Musset sur la donnée qu’il a choisie ou imaginée, peu importe. Lauzun veut gagner avec la duchesse de Berri, fille du régent, la partie qu’il a perdue avec Mlle de Montpensier, et comme il a soixante-dix ans, il charge son neveu de tenir les cartes, en se réservant de le guider par ses conseils. Y a-t-il dans cette donnée l’étoffe d’une comédie ? Je ne refuse pas de le croire ; mais pour que la comédie se fasse, il est absolument nécessaire que Lauzun demeure fidèle au caractère que l’histoire lui attribue, qu’il se conduise en homme de cour, et ne déroge pas à ses habitudes. M. Paul de Musset a-t-il tenu compte de cette nécessité ? Toute la question est là. S’il a imaginé, pour tirer d’embarras le chevalier de Riom, le neveu de Lauzun, des stratagèmes que la comédie désavoue ou n’accepte qu’avec répugnance, les spectateurs les plus indulgens ont le droit de lui dire qu’il s’est trompé.

Les deux premiers actes, je m’empresse de le dire, valent beaucoup mieux que les deux derniers, car ils nous montrent Lauzun tel que nous le connaissons par l’histoire, souple, rusé, railleur, plein de confiance dans les ressources de son esprit, doutant de la vertu, hardi dans ses entreprises, mais toujours élégant, toujours homme de cour, n’oubliant jamais qu’il doit pratiquer le vice autrement que la foule. Le premier acte surtout est écrit de manière à désarmer les plus difficiles. La duchesse de Berri, accablée d’un mortel ennui, est venue visiter la chartreuse du Luxembourg ; les courtisans parlent de cette fantaisie comme d’une fuite au désert. Un orage terrible surprend la belle visiteuse. Les courtisans s’épouvantent. Comment sauver son altesse ? Où va-t-elle se réfugier ? Le chevalier de Riom, présenté tout à l’heure par le duc de Lauzun à la duchesse de Berri, qui n’est rien encore dans la maison de la fille du régent, mais qui a promesse d’une charge de secrétaire, est désigné par elle-même pour la dérober à ce formidable danger. Grâce au neveu de Lauzun, son altesse ne se mouillera pas les pieds. Le chevalier emporte dans ses bras la duchesse de Berri, et malgré les éclats du tonnerre, malgré les éclairs qui sillonnent la nue, il franchit les ruisseaux grossis par l’orage. Il se dévoue héroïquement au salut de la princesse ; pour la ramener dans son palais, il ne craint pas d’affronter un rhume. Une telle abnégation mérite une récompense, et c’est en effet sur ce hardi sauvetage que repose toute la pièce. Comment porter dans ses bras une femme jeune et belle sans être ému un peu plus que ne le voudrait l’étiquette ? Comment se sentir pressée contre le cœur d’un homme jeune et hardi sans oublier l’obscurité de sa famille ? Le danger partagé n’abrège-t-il pas la distance ? Le chevalier de Riom et la duchesse de Berri sont saisis d’une soudaine et mutuelle passion. Tout ce premier acte est conduit avec une adresse, une agilité, une prestesse qui disposent merveilleusement l’esprit du spectateur.

Le second acte, moins vif que le premier, est cependant plein de finesse et de vérité. Lauzun, instruit de l’aventure de son neveu, rêve pour lui la plus haute fortune. Quelle revanche à prendre ! Il ne s’agit que de prouver au chevalier de Riom qu’une princesse de sang royal peut aimer un cadet de Gascogne aussi bien qu’une tête couronnée. L’entretien de l’oncle et du neveu, écouté avec une attention soutenue, est un modèle de malice, un traité de morale mondaine que je ne recommande pas à la jeunesse, mais