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la plus grande considération. Les Américains sont le peuple le plus utilitaire du monde : comment se fait-il donc que de pareilles choses y aient lieu et y réussissent ? Modes, folies passagères ! dira-t-on. Non, et c’est précisément le contraire qui arrive, ces folies ne sont point une mode, elles semblent être inhérentes à l’esprit de la nation, et en tout cas elles y sont permanentes. Ces folies ne sont point une épidémie qui tue des milliers de victimes et passe pour ne plus revenir ; non, elles se succèdent avec une régularité, une continuité remarquable, qui rappellent la marche des faits naturels, la course des saisons. Ce n’était qu’hier encore qu’un journal de New-York résumait dans une page lugubre les attentats, les malheurs, auxquels cet esprit de superstition avait donné naissance dans ces derniers mois, et racontait l’affreuse histoire de ce misérable vieillard égorgé pour hâter l’approche du millenium. Les crimes auxquels les tables tournantes ont donné naissance en Amérique sont innombrables : un voyageur anglais en a donné une liste de dix pages qui fait frissonner ; nous nous sommes tirés de cette folie à meilleur marché, il faut l’avouer. Ce n’est véritablement qu’en Amérique que Smith pouvait parvenir à former un peuple, il ne pouvait réussir que là ; partout ailleurs il eût échoué au bout d’un mois.

Du reste, pour être juste envers l’Amérique, nous devons reconnaître que toutes les nations de race germanique partagent avec elle cette tendance à la superstition et au merveilleux. Il n’est point rare de rencontrer un Anglais ou un Allemand sectateur des tables tournantes ou du magnétisme, et chez plus d’une dame anglaise ou allemande l’éducation la plus distinguée se concilie souvent avec une foi aveugle aux fantômes et aux spectres. Aussi les disciples que les mormons ont recueillis dans l’émigration sont-ils en très grande partie de race teutonique, paysans allemands ou norvégiens, pauvres ouvriers de Manchester ou de Sheffield. Qui dira pourquoi la race la plus pratique qui existe et la plus hardiment rationaliste, celle qui croit le plus aux faits, et qui n’est jamais satisfaite tant qu’elle n’a pas enlevé aux idées leur enveloppe symbolique, pour les contempler dans leur nudité, — qui dira pourquoi cette race est en même temps la plus accessible aux superstitions les plus grossières, tandis que les Celtes, qui n’entendent rien à la vie pratique et qui n’ont jamais su déshabiller une idée, sont exempts de ce vice, qui semblerait devoir être le leur, et n’ont au contraire que des superstitions gracieuses et inoffensives ? En faut-il conclure que les peuples n’ont jamais qu’une moitié de cerveau en bonne santé et que l’autre est infailliblement malade ? Non, dans la manie superstitieuse que nous indiquons, il n’y a pas contradiction avec l’esprit pratique et rationaliste. Une logique occulte met d’accord ces