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reconnaît la séparation des deux pouvoirs, ou, pour parler plus exactement, la séparation des choses religieuses et des choses temporelles ; la société des mormons repose sur la réunion des deux pouvoirs, sur la théocratie. On me dira, il est vrai, que toutes les opinions sont libres en Amérique : sans doute, cependant il y a des limites naturelles à cette liberté. Le premier venu peut, s’il lui plaît, déclarer que la monarchie est le meilleur des gouvernemens, le prêcher et l’écrire ; néanmoins, si ce partisan de la monarchie parvient à réunir autour de lui quarante ou cinquante mille hommes armés de bons fusils et soumis à une discipline sévère et forte, la république le regardera-t-elle faire sans souffler mot, et attendra-t-elle qu’on la prenne à la gorge pour se défendre ? À cela les mormons, leurs défenseurs et leurs critiques indulgens répondent par ce grand principe particulier à la fédération, que chaque état a le droit de se gouverner lui-même comme il l’entend. Oui, assurément, mais à la condition que ce gouvernement ne sera pas en hostilité avec tous les autres. Il me semble que le raisonnement des free soilers relativement à l’esclavage peut s’appliquer avec bien plus de force et de vérité encore aux mormons. « Qu’on cesse de nous répéter, disent les free soilers toutes les fois qu’il s’agit d’admettre un nouvel état dans la fédération, que la constitution a reconnu l’esclavage. La constitution a été formée il y a soixante ans : elle n’a pu prévoir par conséquent les événemens dont nous sommes témoins. La constitution a été faite pour le Massachusetts et la Virginie, pour le New-Hampshire et le Maryland ; elle n’a pas été faite pour le Texas et la Californie, le Nouveau-Mexique et l’Orégon. Elle n’a point prévu que de tels territoires feraient jamais partie de la république, elle n’a pas voulu par conséquent faire des lois pour eux. Elle a reconnu l’esclavage, cela est vrai ; mais l’a-t-elle reconnu comme un principe politique ? En a-t-elle recommandé l’extension et l’application ? Non, elle l’a reconnu comme un fait, comme une institution existante, une institution regrettable, qui pouvait être modifiée et enfin abolie avec les progrès du temps. C’est une étrange interprétation de la constitution que de venir dire qu’elle a entendu permettre l’extension de l’esclavage, tout simplement parce qu’elle n’en a pas prononcé l’abolition. Constitutionnellement, l’esclavage n’a donc le droit d’exister que dans les états qui en étaient infestés lorsque la constitution fut promulguée. Or, comme elle ne fait que le tolérer et qu’elle le repousse en principe, ce n’est plus la lettre de la constitution, c’est son esprit qu’il faut consulter, et cet esprit interdit de droit l’esclavage dans tous les nouveaux états ou territoires. » La même série de raisonnemens peut s’appliquer aux mormons. Si la constitution a reconnu à chacun des états réunis en fé-