culation du sang, et d’envoyer quérir certain iman bien connu pour plusieurs cures miraculeuses, lorsque la grand’mère, s’opposant à ces mesures, déclara qu’Emina se connaissait en médecine beaucoup mieux que l’iman, et qu’il fallait s’en rapporter à elle. En effet, grâce aux soins continus de la pauvre enfant, la poitrine d’Hamid commença à se soulever comme pour aspirer l’air, qui n’y était pas entré depuis environ une heure. Ses yeux s’entr’ouvrirent et se refermèrent aussitôt ; un léger frémissement parcourut tout son corps, comme si la vie eût repris possession de ses membres engourdis. Il fit un mouvement et parut vouloir porter sa main à sa tête ; mais la main, refusant d’obéir, retomba lourdement sur sa couche. Quelques instans de silence et d’immobilité suivirent cet effort, qui semblait avoir épuisé les forces du blessé ; puis ses yeux s’ouvrirent de nouveau et se fixèrent cette fois sur ceux qui l’entouraient. Chacun prit alors, et presque sans y songer, la physionomie qui convenait le mieux à la situation. C’était une peine inutile. Si les yeux d’Hamid étaient ouverts, l’âme, dont ils n’étaient que l’instrument, n’y était pas ; le corps vivait, l’intelligence était captive et obscurcie.
— Hamid, mon enfant, lui dit sa grand’mère, ne me reconnais-tu pas ?
— J’ai une pierre sur la tête ; ôtez-la-moi.
En entendant ces mots, Emina, par un mouvement involontaire, posa sa main sur cette tête endolorie.
— C’est bien, murmura Hamid.
Un silence solennel se fit autour du blessé, car il y avait dans le son sec et saccadé de sa voix et dans la fixité de son regard quelque chose qui disait que l’homme étendu sur ce lit de douleur n’était plus celui dont la volonté inébranlable avait gouverné et contenu jusque-là les agitations du harem. Il était là devant ses femmes, sa mère et ses esclaves ; mais l’une ne retrouvait plus en lui son fils, non plus que les autres leur époux, leur maître ou leur père, et cet homme pour ainsi dire dédoublé, qui se montrait sous une nouvelle forme tandis que l’ancienne semblait avoir disparu, inspirait un inexprimable effroi à toutes ces femmes, excepté à Emina, pour laquelle Hamid était toujours Hamid, l’objet de son amour et de son adoration. Ansha essaya pourtant de se rappeler au souvenir de son seigneur, et, se plaçant résolument entre lui et Emina : — Le noble Hamid, lui dit-elle, ne reconnaît-il plus sa servante fidèle, sa dévouée Ansha ?
Le mouvement d’Ansha ayant déplacé Emina, qui se retirait dis-