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elle parfois, je sais maintenant d’où me vient le danger, et je saurai m’en défendre. Et d’ailleurs il me semble que je n’aurais plus si peur de mon mari, car je sais qu’il m’aime maintenant.

Un soir entre autres, Emina se tenait ce langage, tandis qu’assise auprès du lit de son amant, sa main toujours entre les siennes, elle le regardait dormir. Hamid avait passé une bonne journée ; il avait mangé et causé tour à tour ; puis, vers le coucher du soleil, il s’était endormi tranquillement sur l’épaule d’Emina. Après être restée quelque temps immobile de peur de troubler son repos, elle avait doucement dégagé son épaule, posé sur l’oreiller la tête de son mari, et s’était assise, toujours sans lâcher sa main, auprès de son lit, où elle le contemplait avec amour. Il y avait juste quinze jours qu’Emina ne s’était couchée, qu’elle ne dormait qu’à de rares intervalles et pendant de courts instans. Aussi, tout en devisant avec elle-même, sentait-elle ses yeux appesantis se fermer, et ses pensées devenir de plus en plus indistinctes et confuses. Elle fut bientôt plongée dans un sommeil paisible, quoique léger. Ce sommeil durait depuis quelque temps, lorsqu’elle crut sentir une impression de froid à la main qu’elle avait laissée dans la main d’Hamid, et à cette impression en succéda bientôt une autre de gêne et de malaise. Il lui semblait que ce froid passait de sa main à sa poitrine et dans son cœur, dont il suspendait les battemens, et qu’un frisson glacial parcourait tout son corps, tandis que sa respiration devenait difficile et douloureuse. Lorsque le sommeil est ainsi irrité par ce que nous appelons le cauchemar, il ne tarde guère à se dissiper. Emina ouvrit donc bientôt les yeux, et son premier regard fut pour Hamid.

Hamid ne dormait plus. Il était assis sur son lit, et ses yeux étaient fixés sur le pâle et doux visage de sa jeune femme. Il la regardait, hélas ! avec le regard des anciens et des mauvais jours, un regard froidement protecteur, légèrement moqueur, celui du précepteur observant l’enfant qu’il a laissé accoudé sur ses livres et qu’il retrouve endormi. Emina demeura interdite, atterrée. — Où est Ansha ? — fit Hamid de sa voix un peu sèche et stridente. Et comme Emina ne répondait pas, mais continuait à le regarder d’un œil effaré : — Voyons, mon enfant, reprit-il, qu’y a-t-il ? On dirait que tu as peur ? On t’a placée là pour me veiller pendant mon sommeil, car je sais bien que j’ai été malade, et tu t’es endormie à la peine ? Il n’y a pas de mal à cela, ma petite. De plus fortes que toi ont sans doute fait la plus rude besogne ; puis, quand elles ont été à bout de leurs forces, ton tour est venu, et tu n’as pu achever la veillée ? Encore une fois, il n’y a pas de mal à cela, ma chère petite. Veiller les malades, ce n’est pas de ton âge ; quand tu auras dix ans de plus, tu ne t’oublieras pas si vite, mais tu ne seras plus