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changes de l’Occident et de l’Égypte, qui y expédie tous ses produits : alors ses expéditions convergeront vers le port intérieur qu’on projette de créer au lac Timsah comme port de relâche, de ravitaillement et d’entrepôt. Il y aura dans le Delta tout entier un revirement de l’ouest à l’est ; le canal se sépare du Delta, le Delta se tournera vers le canal. Alexandrie n’a plus de raison d’être que comme port militaire ; comme port marchand, ce ne sera plus qu’un port de cabotage, et son héritage sera dévolu à Timsah dans l’isthme, à Tineh sur la Méditerranée. L’histoire est pleine de ces exemples. Déjà même on a vu Alexandrie, par suite de l’engorgement de ses canaux, abandonnée pour Rosette : ce fut Méhémet-Ali qui se hâta de lui ramener l’eau du Nil ; mais, du jour où un canal de l’Europe dans l’isthme attirera tout à lui avec une force irrésistible et y suscitera des cités nouvelles, de ce jour recommencera le déclin de la ville d’Alexandre, des Ptolémées, des Arabes, de Méhémet-Ali. Rien ne paraît si simple que de faire une coupure à l’isthme, et c’est toute une révolution.

Et l’on chercherait vainement une circonstance atténuante du système dans la brièveté du parcours qui en est le privilège. Évidemment le trajet est plus court de Suez à Peluse que de Suez à Alexandrie ; il ne dépassera pas 160 kilomètres. Est-ce un avantage effectif ? Qu’on prenne pour points de départ et de retour les trois points qui résument les mouvemens maritimes de l’Europe occidentale, — Trieste, Malte, Marseille : les bâtimens allant en Mer-Rouge, ou rentrant en Méditerranée, ne peuvent pas ne pas côtoyer l’Égypte à l’est d’Alexandrie, soit qu’ils aient à prendre la passe dans le golfe de Peluse, soit qu’ils en sortent. C’est une portion obligée de leur itinéraire. Mettons le débouché à Alexandrie, les bâtimens en feront l’équivalent par la navigation du canal, plus sûre et plus douces avec le débouché à Peluse, ce qu’ils auraient fait à l’intérieur, ils le feront à l’extérieur, Il faut donc ajouter ce parcours sur les côtes du Delta aux 160 kilomètres du canal entre Suez et Peluse. C’est un chemin plus court qui n’est pas à portée, et dont le bénéfice est illusoire. La longueur du tracé indirect n’allonge pas, la brièveté du tracé direct n’abrège pas.

Jusqu’à présent nous avons constaté ce que ce système causerait de dommages sans en découvrir la compensation. Pourquoi donc le canal de l’isthme, s’il ne fait les affaires ni de l’Europe ni de l’Égypte ? Il y a cinquante ans, on pouvait s’expliquer ce système, dont M. Lepère a fait la fortune. En un temps de guerre générale, un canal de grande navigation ne pouvait être supposé qu’en dehors de l’Égypte. Les motifs qui défendaient cette conception ne sont-ils pas surannés ? Le système d’ailleurs reposait sur une er-