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dont le joug leur paraissait plus acceptable à des hommes que celui d’un vieillard aveuglé et d’une femme, adressèrent des remontrances à Tassilon ; mais celui-ci ne les accueillait que par son refrain accoutumé : « Mieux vaut la mort qu’une telle vie ! » À ceux qui lui parlaient de leurs sermens, il répétait ce qu’il leur avait déjà dit bien des fois, que ces sermens-là ne se prêtaient que de bouche, et laissaient libre le fond du cœur. On lui objecta aussi les douze otages et son propre fils qu’il avait livrés naguère à Charlemagne ; mais à ces mots il s’écria avec colère : « J’aurais six fils entre les mains de cet homme, que je les sacrifierais tous les six plutôt que de tenir mon exécrable serment ! » Les leudes bavarois, qui purent trouver mauvais qu’on fît si bon marché de leur vie, dénoncèrent secrètement Tassilon au roi, promettant de fournir en temps et lieu des preuves de leur accusation. Il se joignait à ces intrigues patentes certaines trames ténébreuses qu’on ne connaît pas bien, et qui intéressaient les jours du roi : tout lui fut révélé. Le plus profond secret fut gardé sur cette affaire, et au printemps de l’année 788, Charlemagne convoqua Tassilon dans sa villa d’Ingelheim, sur les bords du Rhin, comme s’il se fût agi d’une diète ordinaire.

L’étonnement du duc fut grand à Ingelheim, lorsqu’il s’aperçut qu’il comparaissait devant un tribunal destiné à le juger, et qu’il avait pour accusateurs ses propres sujets. Ses complots de tout genre et ses crimes contre son seigneur furent déroulés l’un après l’autre avec les circonstances et les preuves ; mais les débats ne furent pas longs. Accablé par l’évidence, le malheureux avoua tout : intrigues en Grèce et en Italie, complot contre la vie du roi, provocation à la félonie vis-à-vis de ses leudes, alliance avec les Huns. Le traité conclu entre lui et ces païens pour la ruine de la chrétienté indigna sans doute l’assemblée à l’égal des attentats prémédités contre Charlemagne, et Tassilon, traître à Dieu non moins qu’au roi, fut condamné à mort d’une voix unanime. Charlemagne fut le seul qui inclina pour la clémence, et parce qu’il connaissait la faiblesse de cet homme, et parce qu’il ne voulait pas verser le sang d’un membre de sa famille. Comme Tassilon restait muet et stupide sous le poids de la sentence des juges, Charles lui demanda avec émotion ce qu’il voulait faire : « Tassilon, lui dit-il, quel est ton projet ? — Être moine et sauver mon âme, » répondit celui-ci d’une voix brève. Il ajouta après un moment de silence : « Accorde-moi la faveur de ne paraître point devant cette diète ni devant le peuple avec la tête rasée ; qu’on ne me coupe les cheveux qu’au monastère. » Liutberg, restée en Bavière, ignorait les événemens d’Ingelheim. Avant qu’elle en pût être informée, des émissaires du roi s’assurèrent de sa personne, de ses enfans et du trésor ducal ; le tout, embarqué sur le Danube, fut amené sans encombre à Ingelheim. La