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d’en tirer vengeance. Le kha-kan et le ouïgour eurent beau envoyer une ambassade à la diète de Worms, au printemps de l’année 790, pour donner des explications et prévenir la guerre, s’il se pouvait : Charlemagne traita durement leurs envoyés. Après avoir entretenu la diète a de l’intolérable malice dont cette nation faisait preuve contre le peuple de France et contre l’église de Dieu » et de la nécessité de lui infliger un châtiment exemplaire, il s’occupa des préparatifs d’une expédition sérieuse, et qu’il supposait devoir être longue, échelonnant des corps d’armée sur le Rhin et au-delà du Rhin, et réunissant de tous côtés des armes et des vivres. Jamais, disent les historiens, on n’avait vu de tels approvisionnemens, et jamais ce roi, qui mettait au premier rang des qualités guerrières la maturité des plans et la prévoyance, n’en avait montré davantage.

L’annonce d’une expédition prochaine contre les Avars produisit dans toute la Gaule une émotion de curiosité qui n’était pas exempte d’inquiétude. De tant de guerres que Charlemagne avait accomplies dans toutes les parties de l’Europe, aucune peut-être n’avait excité au même point que celle-ci les puissances de l’imagination. Ici le pays et la nation étaient complètement inconnus, et ce qu’on en apprenait par les livres contemporains répandus en Occident, c’est que les Avars étaient un peuple de sorciers qui avait mis en déroute, par des artifices magiques, l’armée de Sigebert, époux de Brunehaut, et qui avait failli prendre d’assaut Constantinople, — une race de païens pervers dont la rage s’attaquait avant tout aux monastères et aux églises. Les érudits qui connaissaient la filiation des Huns et des Avars en disaient un peu davantage. Confondant le passé et le présent et attribuant la même histoire aux deux branches collatérales des Huns, ils racontaient les dévastations d’Attila, fléau de Dieu, et sa campagne dans les Gaules. À ce nom, que la tradition prétendait connaître mieux encore que l’histoire, les récits devenaient inépuisables, car il était écrit en caractères de sang dans les chroniques des villes et dans les légendes des églises. Metz parlait de son oratoire de Saint-Étienne, resté seul debout au milieu des flammes allumées par Attila ; Paris rappelait sainte Geneviève, Orléans saint Agnan, Troyes saint Loup ; Reims montrait les cadavres décollés de Nicaise et d’Eutropie ; Cologne, les ossemens accumulés des onze mille compagnes d’Ursule. Qui n’avait pas ses martyrs et ses ruines ?

C’était dans ces narrations colorées par la poésie des âges que se déployait le savoir des clercs. Les gens de guerre, les poètes mondains, les femmes surtout, puisaient de préférence dans une autre source de traditions, dans ces chants épiques en idiome teuton dont Attila était un des héros, qui se répétaient partout, et auxquels Charles lui-même venait de donner une nouvelle vogue en les