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engagés dans les solitudes du nord hivernent dans leurs navires enveloppés de neige, que Dumont d’Urville et Wilkes, profitant des meilleurs mois de l’année, se dirigeaient vers le sud.

Les deux corvettes françaises, la Zélée et l’Astrolabe, quittèrent les eaux du détroit de Magellan le 9 janvier 1838. Dumont d’Urville se proposait de suivre les traces de Weddell, et crut un instant qu’en dépassant la première barrière des glaces, il arriverait comme lui dans une mer ouverte ; mais les blocs errans devenaient au contraire de plus en plus nombreux, et il finit par arriver devant une haute falaise dont le front continu, taillé à pic, formait un rempart complètement infranchissable : çà et là, quelque canal étroit s’ouvrait sur cette longue et uniforme ligne, mais une petite embarcation aurait à peine pu s’engager dans ces gorges de glaces. Il fallut se résigner à longer la banquise, dans le canal qui reste presque toujours libre à sa base, jusqu’aux Orkneys, dont les pics sombres et menaçans s’élèvent au-dessus de vastes glaciers, dont les ruines colossales sont échouées tout autour des côtes.

Reprenant sa route vers le sud, Dumont d’Urville parvint, avec de grands efforts, à se frayer un chemin à travers une nouvelle banquise ; mais il se trouva bientôt prisonnier dans les glaces, et pendant trois jours sa position fut extrêmement périlleuse. Quand les vents soufflent du nord, ils ramènent toutes les glaces vers les terres antarctiques, d’où elles s’étaient détachées, et changent bientôt la surface de la mer en un champ solide et continu, formé de blocs ressoudés, de toute grandeur et de toute nature ; au contraire, quand les vents soufflent du sud, ces vastes mosaïques se divisent, les fragmens se détachent et reprennent le chemin du nord. C’est ainsi que Dumont d’Urville se trouva heureusement dégagé et put continuer sa route.

Ces péripéties impriment une grande incertitude à la navigation dans ces parages ; elles tiennent à la distribution particulière des glaces dans la zone antarctique. Les blocs, détachés des énormes champs de glaces qui entourent les terres ou reposent quelquefois seulement sur des bas-fonds, forment toujours des zones parallèles au front des falaises, dont les faces étincelantes portent encore la trace des dernières ruptures ; ces immenses ceintures de débris sont souvent séparées, et l’on peut juger approximativement, par la grandeur, la forme, les contours des blocs qui les composent, de la distance dont on est séparé des glaces immobiles. Ces fragmens, qui forment d’abord d’énormes prismes, parfaitement réguliers, d’une mate blancheur, se brisent, se divisent ; le flot de la mer en use et en arrondit les arêtes, les mine et les dégrade ; leur couleur devient de plus en plus transparente et bleuâtre. Toutes ces variétés, dont nous pouvons à peine nous faire une idée, deviennent des indications très