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d’ouvrir à La Haye un chantier public pour les ouvriers sans travail. Une commission fut nommée et déléguée en vue de cette œuvre spéciale. La nature des travaux à entreprendre était indiquée par la géographie locale. Nous avons parlé ailleurs de la lutte que la Hollande eut à soutenir contre les eaux ; mais nous n’avons rien dit encore des efforts qu’elle déploya pour se débarrasser des sables. Ces deux ennemis exigent des moyens de résistance également énergiques. Une grande partie de la ville de La Haye a été conquise sur les dunes. Dans les provinces de la Drenthe et de l’Overyssel, les sables mouvans s’amoncèlent sur les tourbières, et forment ainsi des collines qui s’accroîtraient de jour en jour, si l’on ne prenait le soin d’en arrêter les progrès. Il a fallu que la main de l’homme contînt et repoussât cette lave, qui, apportée par les vents, voiturée par les eaux des fleuves ou de la mer, recouvrait le pays, étouffait les cultures, et menaçait souvent de les engloutir. Le Hollandais ne s’est pas contenté toutefois de repousser le fléau : il a utilisé le mal, si tant est que le mal existe dans la nature et en face d’une économie intelligente des forces humaines. Ces sables parasites sont l’objet d’un commerce : on les enlève pour fertiliser certaines terres argileuses et pour servir de lest aux vaisseaux. La commission crut qu’il serait sage d’intéresser les bras inoccupés à cette conquête de la volonté sur le sol. Elle demanda au gouvernement des collines arides sur lesquelles croissaient la mousse, les lichens et les bruyères. Le gouvernement les céda volontiers. Aujourd’hui les lieux ont changé de physionomie. Ces collines se sont abaissées et s’abaissent encore tous les hivers sous la main des terrassiers. Ce qui a été le lit de la mer est maintenant une culture. Les sables chassés par le vent et amoncelés en une chaîne de dunes s’égalisent sous la pioche, se développent en champs de pommes de terre ou de betteraves, se couronnent d’une fertilité relative à l’aide des engrais. Dans ces terrains bouleversés, qui présentent à chaque pas l’image de l’homme producteur debout sur le chaos, on a ménagé des défenses savantes contre les vents et les orages. Des murs de sable, taillés dans l’épaisseur des collines à demi renversées, protègent les accroissemens de la végétation naissante. Ces défrichemens, entrepris par des ouvriers que la rigueur de la saison et la dureté des circonstances enlèvent momentanément à leur état, présentent quelques traits de ressemblance avec les ateliers nationaux créés à Paris par le gouvernement provisoire en 1848 ; seulement on y travaille. Les ateliers nationaux étaient un expédient ; la culture des dunes est une institution. 6,132 florins, obtenus par voie de souscriptions, ont été jetés dans cette lutte contre la nature et l’inégalité du sol. La commission se proposait moins une œuvre industrielle qu’une œuvre morale de