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la prédestination. « Si notre enfant, disent les parens peu éclairés, doit avoir la maladie, il l’aura malgré nous : c’est la volonté de Dieu. »

Le système qui préside à l’enseignement des aveugles dans la ville d’Amsterdam est particulièrement éclectique. Le directeur proprement dit, homme vraiment remarquable dans sa spécialité, fait de fréquens voyages pour reconnaître et s’approprier les différentes méthodes qui existent dans les pays étrangers. Si l’établissement n’exclut rien de ce qui semble bon, il a pourtant un caractère à lui. Rien n’est négligé pour y développer chez les aveugles les sens qui peuvent suppléer à l’absence de la vue. Je rencontrais dans les escaliers des enfans qui se dirigeaient très bien et qui regagnaient leur place avec facilité. Quelques-uns n’ont même pas besoin de porter les mains en avant pour toucher les obstacles qui se trouvent sur leur chemin ; il leur suffit d’analyser l’impression que produit sur le visage, particulièrement sur le front, l’approche d’un corps étranger. L’aveugle peut calculer ainsi la résistance de l’air compris entre un objet quelconque et sa personne. Il existe dans l’établissement deux écoles de gymnastique, où l’on ne voit pas sans surprise les aveugles passer d’une corde à l’autre et se livrer à tous les exercices du corps les plus compliqués.

L’éducation morale n’est pas moins soignée que l’éducation physique. Le secret de cette méthode consiste à mettre la vision au bout des doigts de l’aveugle. L’enseignement de la lecture se fait en trois temps. D’abord on se sert de types en cuivre incrustés dans du bois, ensuite on emploie des lettres en gutta-percha, puis on fait usage de livres imprimés en gros caractères saillans. Il est intéressant de voir les jeunes aveugles, ces somnambules lucides de l’art, reconnaître ainsi par le toucher la figure des signes de la pensée. Au moyen de ces exercices, l’enfant aveugle apprend aussi vite à lire que l’enfant voyant. J’ai pu me convaincre de cette vérité. Une jeune fille entrée dans l’établissement le 2 décembre 1854 lisait couramment au mois d’avril 1855. Un autre élève né à Java, de race indienne, éprouvait un obstacle naturel ; sa peau, plus épaisse que celle des enfans de nos climats, interceptait en quelque sorte la finesse des sensations ; il avait, s’il est permis de s’exprimer ainsi, le toucher myope. Malgré cette cause d’infériorité relative, il apprit à lire en quatre mois. On rencontre au contraire chez certains