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visité à Amsterdam un hôtel magnifiquement situé et au fronton duquel est inscrit ce mot : Zeemanshoop. De la terrasse, on découvre toute la ville, les canaux, les toits des maisons noircies par le temps et par la fumée du charbon, les flèches des églises qui répandent l’heure sur les eaux de la mer comme le temps sur l’éternité, les légions de moulins du village de Saardam. Dans cet hôtel, une société tient ses séances. Elle pourvoit à l’entretien des veuves et des enfans de marins ; elle distribue des secours aux matelots estropiés, elle accorde des récompenses aux hommes dévoués qui luttent contre la tempête pour sauver du naufrage les passagers de toute nation. On le voit, le système de bienfaisance, quoique décousu et formé d’élémens divers, enveloppe toutes les professions utiles, tous les âges de la vie, depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse. Dans cette même ville d’Amsterdam, sur le quai de l’Amstel, s’étend un vaste édifice connu sous le nom d’Oude mannen-en vrouwenhuis, hospice pour les vieillards. Je me souviens d’avoir vu à Leeuwarde, en Frise, une ancienne construction d’un style charmant, dans laquelle on recueille les pauvres ménages. À La Haye, les hommes et les femmes courbés sous le fardeau d’une vieillesse indigente étaient autrefois confondus dans le même hospice avec les orphelins ; ils sont aujourd’hui séparés. La diaconie calviniste a fait élever pour eux un bâtiment neuf, véritable palais de la charité. Ouvert en 1854, cet hospice a été fondé exclusivement par les dons de la commune religieuse, et a coûté plus de 200,000 francs.

Dans de telles maisons, les pauvres sont secourus convenablement, mais ils ne s’appartiennent plus. Le sentiment de la personnalité humaine comprimée est quelquefois une source de souffrance morale. Cette souffrance du moi n’a point échappé à l’un des écrivains les plus connus et à l’un des hommes les plus aimables de la Hollande : je parle du pasteur Beets, qui, sous le pseudonyme de Hildebrand, a su attirer l’attention de ses concitoyens. Comme l’auteur de la Camera obscura s’est surtout attaché à décrire sous une forme humoristique les mœurs de son pays, comme ses observations se rencontrent d’ailleurs avec les nôtres et fortifient sur ce point nos conclusions, on nous permettra de traduire un des épisodes de son livre. Hildebrand est l’hôte de son oncle, chez lequel il passe les vacances. Un matin, après déjeuner, il fait un tour dans le jardin, où il rencontre le vieux Kees, un pensionnaire de l’asile des vieillards, qui gagne un honnête gros sou, dans sa soixante-dixième année, à nettoyer des bottes et des souliers, à faire des commissions, à porter des journaux. Le brave homme paraît horriblement troublé. Laissons Hildebrand raconter lui-même les détails de cette entrevue :


« La contenance de Kees dénotait clairement ceci : je vous prendrais