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jazet II vient venger Mahomet II. Il est défait dans les batailles de Katlagouba, de Skeia, de Faltchi. Long-temps disputée, l’embouchure du Danube reste à Étienne. Le danger diminué du côté des musulmans éclate du côté des chrétiens. C’est maintenant le roi de Pologne, Jean-Albert, c’est le roi de Hongrie, Vladislas, qui croient l’occasion venue de se partager la Moldavie. Le roi Jean-Albert y entre à la tête de quatre-vingt mille Polonais. Étienne bat cette armée à Kotnar ; il la disperse au passage du Dniester. Indigné de l’attaque des chrétiens, on dit qu’il attela au joug vingt mille prisonniers ; il leur fit traîner la charrue dans les sillons ; on y sema des glands, d’où sortit la Forêt-Rouge, ainsi nommée parce qu’elle a germé dans le sang. Étienne poursuit les Polonais l’épée aux reins en Podolie, en Russie. Il prend Lemberg ; il occupe la Galicie ; la terreur s’étend dans toute la Pologne ; Cracovie menacée arme à la hâte. Lisez le traité de paix qu’Étienne fait signer au roi de Pologne en 1499. C’est le vrai fondement du droit international des provinces danubiennes à l’égard des puissances chrétiennes. Vous verrez dans ce traité tous les droits de souveraineté, d’indépendance plénière, garantis à la Moldavie, le roi et le voïvode traitant sur un pied complet d’égalité : partout le mot d’amitié, nulle part celui d’hommage ; convention d’extradition, alliance offensive et défensive, liberté de commerce. La Moldo-Valachie est ce jour-là dans la famille des grands états. Le retour d’Étienne est un triomphe ; il ramène avec lui cent mille prisonniers de la Russie-Rouge qu’il réduit en servage. Il se donne l’orgueilleuse joie de les semer de tous côtés par-delà le Danube ; il en remplit la Bulgarie, la Grèce ; on en vit arriver jusque sur les marchés d’Asie ; le chef de la Moldavie prenait plaisir à fouler la Russie dans son berceau. À la fin de cette même année 1499, il se retourne contre les Turcs dans une campagne d’hiver. Il les laisse s’engager au nord du Pruth au nombre de soixante-dix mille hommes ; le froid en fait périr quarante mille. Étienne tombe sur le reste de l’armée, qu’il coupe du Danube et qu’il achève. Outre la Moldo-Valachie, il possédait alors la Pocutie, la Bessarabie tout entière. Ce fut le moment culminant de sa fortune. Avant qu’elle ne décline, il meurt en 1504, plein de gloire, mais aussi d’appréhension sur l’avenir, sachant bien qu’il y avait un point ruineux dans ses états, et que cet empire construit avec tant d’efforts, soutenu de tant de victoires, assiégé au dehors et au dedans par l’islamisme et par le christianisme, pourrait difficilement subsister sans lui.

La figure de ce grand saint Étienne le Bon manquait à nos histoires du xve siècle, qui en restait comme appauvri et dépouillé dans sa dernière moitié. En effet, l’absence de ce personnage ôtait l’équilibre à l’histoire. C’était comme un vide dans un tableau, et il était