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de remettre la somme en question à Kees à cause de sa conduite exemplaire, et attendu qu’il conservera cet argent aussi sûrement que l’infatigable trésorier honoraire de la société (le trésorier honoraire salua) ; mais d’un autre côté il convient de reconnaître que le digne trésorier prendra autant de soin de cet argent que Kees lui-même, et alors il n’y aurait pas lieu de confirmer Kees dans cette opinion erronée, que son argent serait mieux conservé et plus certainement recevrait l’emploi auquel il était destiné, si Kees était autorisé à administrer lui-même ses fonds, au lieu de les placer avec les fonds qui étaient déjà entre les mains de ce digne ami, le susdit trésorier. »

« Telle fut l’opinion catégorique du président. Le secrétaire du conseil fit aussitôt observer, et avec quelque apparence de vérité, que cette motion n’était pas suffisamment concluante ; il demanda qu’une des deux opinions énoncées fût mise aux voix. Cependant le trésorier fut assez magnanime pour céder ses droits à l’administration de la somme en question, et il fut résolu à l’unanimité qu’on rendrait à Kees ses douze florins, soigneusement enveloppés dans le sac de cuir.

« Kees porta encore son argent pendant deux années contre son cœur. L’année dernière, je visitai le cimetière de D… Ce fut une consolation pour moi de savoir qu’un homme sommeillait là, dans la fosse commune des pauvres, et que cet homme avait été respectueusement conduit à sa dernière demeure par douze amis de son choix. Ce résultat était dû en partie à mes efforts. Peut-être même le vieux Kees, dans ses derniers momens, eut-il une bonne pensée pour Hildebrand ! »


Nous n’ajouterons rien au récit de M. Beets. L’organisation de la charité sous la forme de la vie en commun est à coup sûr la plus commode, la plus économique, la seule même qui s’applique dans l’état actuel des choses à certaines infortunes, mais elle sacrifie plus ou moins chez l’homme la conscience du moi, cette protestation éternelle de l’être libre, qui, non contente de s’attacher aux actes de l’existence, s’étend même quelquefois au-delà du tombeau.

Cette intervention d’un poète humoriste dans une question grave et pratique nous amène naturellement à indiquer les services qu’a rendus la littérature néerlandaise aux classes souffrantes en appelant sur elles l’intérêt et la compassion des classes riches. Par l’influence heureuse qu’elle a exercée sur les mœurs, cette littérature peut être envisagée elle-même comme une institution de bienfaisance. L’action de la charité en Hollande se rattache au mouvement intellectuel et religieux dont on peut suivre de siècle en siècle la trace féconde dans les ouvrages des poètes et des romanciers. Aucune littérature n’est aussi riche en moralistes que la littérature hollandaise ; mais parmi les hommes de talent qui ont tenu à renfermer une leçon dans des vers, l’influence la plus répandue est encore celle de Jacob Cats. Ses ouvrages sont dans toutes les mains. Il est l’ami, l’hôte invisible des châteaux, des salons et des