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dans la plaine ouverte, à Jassy, où elle est aujourd’hui, et s’il se fût obstiné à la défendre, une seule journée eût tout perdu.

Vous reconnaîtrez par là sans peine que le temps où les provinces danubiennes ont montré une véritable vigueur, ç’a été lorsqu’elles avaient la tête de leur gouvernement, la Moldavie à Sucziava, la Valachie à Tirgovist, protégées l’une et l’autre à l’extrémité du territoire par la force naturelle des lieux ; au contraire leur impuissance militaire a commencé du jour où ces mêmes capitales, arrachées à leur position forte, sont descendues dans les plaines, alors que Jassy et Bucharest ont remplacé Sucziava et Tirgovist. Depuis ce moment, la capitale a été dans la main de l’ennemi, et l’on n’a plus vu, je ne dis pas une tentative, mais même une intention de résistance dès que l’ennemi s’est montré. Sucziava et Tirgovist sont les capitales d’Étienne le Grand et de Michel le Brave. Jassy et Bucharest ne rappellent politiquement que le Phanar et la Russie.

Appliquez ces observations à l’époque de Michel le Brave, vous les trouverez toutes confirmées. Sans études, sans réflexion, il a suivi l’exemple d’Étienne, et les mêmes principes ont produit des résultats semblables. En 1594, Michel, prince de Valachie, repousse les Turcs des bords du Danube. Il les enferme à Silistrie, à Hirsova ; tandis qu’il est aux prises avec eux, le chrétien Sigismond, reprenant l’œuvre de Mathias Corvin, s’apprête à s’emparer de la Valachie et de la Moldavie. Je ne dis rien des sermens que Michel prête tantôt à la Turquie, tantôt à la Hongrie, tantôt à l’empire. À l’ombre de ces sermens qui se détruisent l’un l’autre, il ne laisse pas de s’agrandir chaque jour. Il a un moment dans sa main la Valachie, la Moldavie, la Transylvanie. C’était là, encore une fois, le commencement d’un grand état. Michel le Brave semble avoir compris mieux que personne que la Moldavie et la Valachie, même réunies, seraient toujours chancelantes tant qu’elles seraient séparées du massif intérieur des Carpathes, que là devait être la forte base d’un état roumain, que tant que les provinces danubiennes seraient isolées des provinces retranchées vers les Portes-de-Fer, l’arbre serait séparé de sa souche. Sans doute l’arbre pourrait continuer de végéter ; mais il resterait aisément stérile, si on ne le rattachait à ce qui est, par la nature des lieux, par l’histoire de la race, par le premier plan des colonies, le fondement même d’un royaume roumain, et il est à remarquer que si cette hardie tentative de rattacher le tronc à la tête n’a pas été suivie d’un succès plus durable, la cause en a été non dans l’hostilité des musulmans, mais encore une fois dans les attaques des nations chrétiennes. D’un côté, les Roumains de la Transylvanie, depuis trop longtemps séparés, n’ont plus reconnu des frères ou des fils dans les Valaques de Michel le Brave ; de l’autre, les Polonais sont