Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

antique. Suivons rapidement la marche de l’historien. Voici l’œuvre décisive de sa vie.

Ce mouvement continu, qui semble le sujet même de son tableau, se déclare dès le sein du moyen âge. Peu sympathique à l’esprit général de ce temps, ne craignez pas que M. Gervinus le traite avec dédain ; c’est son bonheur, au contraire, d’y chercher et d’y découvrir les traces d’un effort sans cesse renouvelé. Ce moyen âge, que des historiens de fantaisie se représentent comme une période de mystique béatitude, est intéressant surtout par son agitation inquiète, sa perpétuelle mobilité, et une sorte d’aspiration naïve vers la lumière. Suivre et commenter ce travail intérieur, voilà la tâche de M. Gervinus. Sous quelque forme que se produise ce développement de la vie morale, aucun symptôme ne lui échappe. Tant que l’église chrétienne est d’accord avec l’idéal qu’il s’est formé du génie germanique, il ne lui refuse pas l’admiration et l’éloge. Le jour où ces deux esprits lui sembleront opposés l’un à l’autre, il regrettera ouvertement que la féconde nature des vieux Germains n’ait pu se déployer en liberté. « Il ne peut se consoler, dit très bien M. Ozanam, de voir que la mansuétude catholique lui a gâté ses belliqueux ancêtres. » Au milieu des travaux sans nombre que l’Allemagne de nos jours a consacrés à l’histoire de sa littérature du moyen âge, il en est un surtout qui, par l’admiration enthousiaste des poètes du XIIIe siècle, rappelle çà et là le tableau de M. Gervinus. Je parle des belles leçons de M. Vilmar, directeur du gymnase de Marbourg. Que de différences pourtant entre M. Gervinus et M. Vilmar ! Chez M. Vilmar, c’est au nom du christianisme que le génie allemand est glorifié ; chez M. Gervinus, c’est au nom du génie allemand que le christianisme est absous. C’est ainsi que, malgré tant de préventions amères contre l’église de Rome, il rend justice en de nobles termes aux monastères allemands du IXe siècle, surtout à cette illustre abbaye de Saint-Gall, qui garda si efficacement le dépôt de la culture littéraire au sein de la barbarie. C’est ainsi qu’il proclame l’influence heureuse exercée sur l’esprit de l’Allemagne, et qu’il apporte à l’appui de cette thèse des considérations aussi neuves que solides. La passion patriotique triomphe ici des autres passions de son intelligence.

Comme elle éclate surtout, cette préoccupation de la gloire nationale, quand l’historien rattache la poésie allemande à la poésie des autres contrées de l’Europe ! Ce n’est pas assez pour lui de déployer avec orgueil tout ce qu’il y a de sauvagement original dans les vieux poèmes barbares, de comparer les Niebelungen à l’Iliade et Gudrun à l’Odyssée. Arrivé aux minnesinger et aux conteurs épiques, il proclame encore sans hésiter que la supériorité appartient à l’Allemagne. En vain nos bénédictins du XIXe siècle, dans les tomes récens de