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qu’on avance. Arrivé à la fin du XVIe siècle, l’auteur jette un regard en arrière et se demande quel a été l’enchaînement des idées depuis les origines littéraires de l’Allemagne. Il aperçoit alors trois phases distinctes, trois phases où l’esprit de son pays a développé séparément ses facultés, et qui vont se réunir dans une quatrième période qui couronnera tout et sera vraiment le fruit complet de la civilisation allemande, le fruit de la poésie et de la science sur l’arbre de la vie. Jusqu’à la fin du XIIIe siècle, la poésie est épique, mystique, chevaleresque ; elle chante surtout l’idéal, les sentimens raffinés ou l’enthousiasme national des hautes classes ; l’élément de l’aristocratie l’domine. Pendant le XIVe et le XVe siècle, elle devient bourgeoise et populaire : plus de brillantes épopées, plus de mysticisme guerrier ou religieux ; des voix bien humbles, mais innombrables, expriment des sentimens pratiques, enseignent le droit et le devoir, travaillent à l’éducation de tous, et ce concert qui s’accroît d’heure en heure prépare l’irrésistible explosion de la réforme. Au XVIIe siècle enfin, une nouvelle aristocratie s’organise, aristocratie de lettrés, de critiques, de censeurs pédantesques, qui régularisent la langue et prétendent fixer les lois du goût. Dans la première période, on se préoccupait surtout du sujet ; dans la seconde, c’est l’opinion qui est la chose essentielle, dans la troisième le style. Viennent maintenant de grands esprits, des poètes et des penseurs originaux ! Ils se débarrasseront des lisières de l’école, ils briseront le joug de l’étranger, et, se rattachant aux vraies traditions nationales, ils l’trouveront tout préparés les plus riches matériaux qui aient été donnés à un peuple. La grandeur des sujets, l’inspiration philosophique et morale, unies à un sentiment indispensable de la forme, tel sera le fonds de cette quatrième période, qui devra continuer et couronner les trois autres.

Cette période, c’est celle qui, préparée par les innovations de Bodmer, enhardie par l’enthousiasme religieux de Klopstock, se révèle surtout dans les manifestes de Lessing, et produit ses chefs-d’œuvre avec Schiller et Goethe. M. Gervinus avait consacré trois volumes aux trois premières parties de son sujet, il en consacre deux à l’immortelle pléiade du XVIIIe siècle. Tous ces grands hommes sont peints avec amour ; ils sont debout, ils triomphent, entourés de l’auréole. Lessing occupe le centre, in medio mihi Cæsar erit… On voit qu’il remplit son siècle, qu’il éveille les esprits, et que le commandement lui appartient, on voit surtout que les préférences de l’auteur sont décidément pour le génie de l’action plutôt que pour le génie poétique. Quel homme a été plus actif que Lessing ? qui a eu plus d’énergie et d’influence ? qui a mieux affranchi les âmes des séductions du mysticisme ? Critique, antiquaire, historien,