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tion, la même menace. En acceptant l’obligation de ne conserver ou de ne créer aucun arsenal militaire maritime dans le Pont-Euxin, la Russie se promettait, dit-on, dans le premier moment, de ne point appliquer cette prescription au port de Nicolaïef. Il est vrai, Nicolaïef n’est point rigoureusement sur les bords de la Mer-Noire : il est à une distance de quarante milles dans les terres, au confluent de l’Ingoul et du Bug, il ne touche pas même au Dniéper, dont il est éloigné de quinze milles ; mais par cette voie fluviale rendue facilement praticable, par ce débouché continu du Bug et du Dniéper, les vaisseaux russes arrivent dans l’Euxin ; c’est le chemin qu’ils ont suivi jusqu’ici. Que signifieraient aujourd’hui la destruction de Sébastopol et la neutralisation de la Mer-Noire, si la Russie, retranchée dans ses positions intérieures, pouvait organiser là une flotte nouvelle toute prête à s’élancer au premier instant ? La meilleure preuve que le cabinet de Saint-Pétersbourg saisissait toute la portée des conditions qui lui étaient communiquées, c’est que M. de Nesselrode, dans ce qu’on a nommé les contre-propositions, s’efforçait de préciser cette obligation de ne point conserver d’arsenaux maritimes, et en bornait les effets aux rives de la Mer-Noire. Si la Russie, dans la plénitude de sa liberté, a postérieurement accepté les conditions qui lui avaient été proposées d’abord, elle savait, cela n’est point douteux, à quoi elle s’engageait. Si la Russie enfin est fermement résolue à la paix, si elle a souscrit avec sincérité à ce grand principe de la neutralisation de la Mer-Noire, pourquoi tiendrait-elle à conserver des moyens d’action qui lui seraient désormais inutiles ? pourquoi raidirait-elle sa politique ou son amour-propre contre une des nécessités les plus palpables de la situation qu’elle s’est faite ? C’est là ce qu’on ne peut croire, parce qu’une résistance obstinée indiquerait une arrière-pensée, une réserve secrète qui rendrait toute paix aussi précaire qu’illusoire.

à vrai dire, les difficultés ne seront pas là sans doute, bien qu’on ne puisse rien préjuger encore des vues réelles de la Russie. Les difficultés sérieuses résulteront plus probablement de la clause par laquelle les puissances alliées se sont réservé le droit de produire des conditions particulières dans un intérêt européen. L’intérêt européen, c’est un grand mot assurément. S’il implique des remaniemens de territoires, des résurrections de nationalités, ce n’est plus un congrès spécial qui doit se réunir, c’est un congrès général de toutes les puissances. Pour l’instant, il s’agit plus simplement, ce semble, d’observer le caractère de la guerre d’où découle le caractère des négociations. Les puissances occidentales ont vu l’équilibre de l’Europe menacé ; elles ont voulu le raffermir partout où il était ébranlé, au nord comme à l’orient, et c’est ainsi qu’elles se trouvent nécessairement conduites à demander que la Russie cesse d’occuper militairement cette position avancée des îles d’Aland et de Bomarsund. C’est la plus faible compensation due à la sécurité de la Suède, dont l’intervention diplomatique n’a pas peu contribué à éclairer la Russie sur les dangers d’une politique à outrance. On ne saurait le méconnaître en effet : sans avoir participé à la guerre, la Suède est un des états qui ont pris l’attitude la plus nette et la plus tranchée vis-à-vis de la Russie, non-seulement par le traité du 21 novembre, mais encore par la circulaire du ministre des affaires étrangères de Stockholm, circulaire qui, sans dissimuler la pensée intime du traité, promettait un adversaire de