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ne répondait jamais aux caresses de son seigneur, — on la vit passer tendrement son bras autour du cou de Méhémed ; elle sembla même se plaire à prolonger cette étreinte. Que signifiait cet élan de tendresse ? Était-ce un caprice inexplicable du cœur féminin ? — Je dois ajouter que le départ ayant eu lieu et le bey étant rentré chez lui pour donner quelques ordres avant de monter à cheval, un de ses serviteurs, qui l’attendait dans la cour, trouva sur le sable, — juste à l’endroit où le bey avait reçu les derniers adieux de ses femmes, — un ruban fané auquel était attaché un petit sachet en soie verte. — Tiens ! se dit le serviteur, une de ces dames aura perdu son talisman ! Bon, je l’ai trouvé et je le garde, car avec la vie que je mène il peut m’être plus utile qu’à aucune d’elles.

Et il se passa le talisman autour du cou en ayant soin de cacher le sachet sous ses vêtemens.

II.

Nous ne suivrons pas chacune de ces dames dans la retraite qui lui avait été assignée. Fatma et Actié passèrent leur temps comme elles purent en regardant par les fenêtres grillées du harem les rares passans qui traversaient la rue et les nonchalantes beautés qui se promenaient dans les jardins des maisons voisines. La brune Abrama acheva de devenir stupide à force de s’ennuyer dans la solitude à laquelle elle avait été condamnée. Quant à Kadja et à Habibé, elles arrivèrent sans aventures dans le village habité par l’ami turc du chef kurde. C’était plutôt un serviteur qu’un ami, et l’accueil fait aux deux femmes le disait assez. Toute la maison fut mise sens dessus dessous par leur hôte, visiblement préoccupé de leur offrir une demeure convenable et de bon goût. Les maîtresses du logis se reléguèrent dans un grenier pour céder les meilleures pièces aux nouvelles venues. On ne tua pas le bœuf gras, car il n’y a que des bœufs maigres en Asie-Mineure ; mais le chevreau le plus tendre et le mouton à la queue la plus large furent immolés et rôtis, sinon sans regrets, du moins sans pitié. On étala force tapis sur les planchers, force matelas sur les tapis, et force couvertures sur le tout. On s’appliqua à faire tourner le lait, on mit tout le voisinage à contribution pour avoir du marc de café, que l’on versa dans la cafetière de crainte que le café ne fut pas assez épais ; on fit cuire du pain sans levain, rôtir des perdreaux pendant douze heures consécutives, et bouillir des choux dans une marmite hermétiquement fermée pour empêcher que l’odeur ne s’en évaporât ; enfin rien ne fut négligé de ce qui pouvait contribuer au bien-être des deux femmes que la Providence plaçait sous la protection de l’ami turc.

Les plaisirs de l’intelligence ne furent pas oubliés non plus, et